vendredi 27 mars 2009

532 milliards de dollars planqués par les banques françaises dans les paradis fiscaux

532 milliards de dollars planqués par les banques françaises dans les paradis fiscaux, La Tribune, 27 mars 2009

Quelques 532 milliards de dollars (soit quelques 370 milliards d'euros) seraient "planqués" par les banques françaises dans des paradis fiscaux, affirme l'hebdomadaire Marianne en vente demain samedi 28 mars.
Quelques 532 milliards de dollars (soit quelques 370 milliards d'euros) seraient "planqués" par les banques françaises dans des paradis fiscaux, affirme l'hebdomadaire Marianne en vente demain samedi 28 mars.

Cette somme a été évaluée au 30 juin 2008. L'hebdomadaire affirme également que ce chiffre aurait explosé de 300% en l'espace de 5 ans. Ces 532 milliards génèreraient un manque à gagner pour le Trésor de 20 milliards d'euros chaque année.

Les destinations favorites des banques seraient le Luxembourg, les îles Caimans, Singapour et Hong Kong.

L'hebdomadaire s'appuie pour révéler ce chiffre sur une enquête exhaustive menée par le mensuel Alternatives économiques accessible en cliquant ici.

Cette enquête montre que toutes les entreprises françaises du CAC 40 sont présentes dans les paradis fiscaux avec pratiquement 1.500 filiales sur près d'une trentaine de territoires.

La publication de ces enquêtes intervient à la veille de la réunion du G20 qui doit statuer sur les mesures à prendre contre ces trous noirs de l'économie mondiale. Comme une véritable bombe.

mardi 24 mars 2009

Suisse : moralisation à petits pas

Suisse : moralisation à petits pas , Le Monde, 24 mars 2009

Officiellement, les autorités helvétiques n'ont fait qu'aménager le secret bancaire. La distinction entre évasion et fraude fiscale pour les étrangers a été supprimée. L'échange élargi d'informations, au cas par cas, basé sur des demandes fondées, a été accepté. Mais depuis l'annonce, vendredi 13 mars, de ces décisions prises sous la pression internationale, c'est l'avenir même de la place financière helvétique (la troisième au monde en matière de gestion de fortune) qui est en question. Et le sort des fonds étrangers qui y sont déposés : jusqu'à 2 150 milliards de francs suisses (1 400 milliards d'euros), soit 42 % de l'ensemble des avoirs, selon les estimations récentes de l'Association suisse des banquiers (ASB).

Pour la plupart des responsables politiques et des banquiers, le soudain désir de moralisation des pratiques financières internationales s'inscrit avant tout dans "une guerre sans merci entre places financières, sur fond de crise économique", comme le résume le parlementaire Christophe Darbellay, président du Parti démocrate chrétien. "Nos principaux concurrents sont Londres et New York, explique-t-il. La meilleure solution serait de créer des trusts comme en Grande-Bretagne ou de se calquer sur les pratiques en vigueur dans certains petits Etats américains, très attractifs fiscalement, comme le Delaware."


"LE BEURRE ET L'ARGENT DU BEURRE"


La plupart des responsables de droite exhortent le gouvernement à passer à l'offensive à l'égard des pays qui pratiquent une fiscalité attractive. Très virulents, les populistes-nationalistes de l'UDC proposent, eux, d'inscrire le secret bancaire dans la Constitution et de soumettre à référendum les conventions de double imposition qui vont être renégociées. Dans les mois à venir, Berne doit en effet réviser ces conventions fiscales avec les pays qui le souhaitent - Etats-Unis, France et Japon ont déjà fait la demande - afin d'y inscrire la suppression de la distinction entre évasion et fraude. Le Parti socialiste et les Verts, qui saluent cette évolution, souhaitent que les contribuables suisses soient soumis aux mêmes règles.

De son côté, le Conseil fédéral (gouvernement) s'est lancé dans un marathon diplomatique, avant le G20. Mercredi 18 mars, Micheline Calmy-Rey, la ministre des affaires étrangères, était à Paris pour répéter que "la Suisse n'est pas un paradis fiscal" et que ses engagements seront suivis d'effets. Elle doit se rendre le 1er avril à Berlin, alors que Peer Steinbrück, le ministre allemand des finances, ne rate pas une occasion de critiquer la Suisse. S'exprimant sur l'effet qu'a eu sur Berne la menace d'être inscrite sur une liste noire de l'OCDE, M. Steinbrück évoquait récemment une "cavalerie" faisant peur aux "Indiens".

A la recherche de contreparties, le gouvernement suisse pourrait demander à Bruxelles de renégocier à la baisse le taux d'impôt à la source prélevé sur les revenus de l'épargne des ressortissants de l'Union européenne. L'idée serait d'éviter que ce taux, actuellement de 20 %, passe en 2011 à 35 % comme le prévoit l'accord bilatéral sur la fiscalité de l'épargne. En 2006, la Suisse a rétrocédé près d'un demi-milliard de francs suisses à différents pays européens. Mme Calmy-Rey a prévenu qu'en obtenant d'importantes concessions sur l'échange d'informations, Bruxelles ne pouvait pas "avoir le beurre et l'argent du beurre".

En attendant, l'incertitude plane sur le sort des fortunes offshore placées en Suisse. "Dans l'immédiat, rien ne changera" pour les clients étrangers, précise un communiqué de l'Association des banquiers privés suisses - l'entrée en vigueur des nouvelles conventions fiscales peut prendre entre un et deux ans. Que se passera-t-il alors ? "Les banquiers devront faire un gros travail d'information pour rassurer leurs clients", estime l'avocat fiscaliste Philippe Kenel. Ceux qui ont des comptes en Suisse ne risquent a priori rien, "pourvu qu'ils soient discrets", précise M. Kenel.

Agathe Duparc

La principauté de Monaco fait de la résistance

La principauté de Monaco fait de la résistance , Le Monde, 24 mars 2009

Alors que la menace de figurer sur une "liste noire" et les pressions des gouvernements allemand et français ont amené le Liechstenstein ou Andorre à envisager une levée du secret bancaire, Monaco fait de la résistance. La crainte de voir filer les milliards investis localement et s'effondrer le prix du mètre carré sur le Rocher incite à la prudence.

En vertu de conventions signées dans les années 1960, les Français n'ont aucun intérêt à se rendre dans la Principauté pour tenter d'y cacher leurs revenus. En revanche, Italiens, Allemands ou Anglais y sont nombreux à profiter du secret bancaire. Ils sont également nombreux à tenter d'y devenir résident : l'impôt sur le revenu n'y existe pas. Le 18 mars, la principauté de Monaco s'est dite "déterminée" à adopter les normes de l'OCDE en matière fiscale, dans le but de disparaître de la liste noire des "paradis fiscaux non coopératifs" fournie par l'OCDE au G20. "Nous avons observé les avancées de la Suisse, de l'Autriche et du Luxembourg et nous avons décidé de nous joindre au mouvement, indique Franck Biancheri, conseiller du prince pour les affaires internationales. Mais il s'agit de voir jusqu'où on peut aller dans la coopération."

La Principauté communique sur les comptes de ressortissants étrangers quand la demande est formulée par des juges - et dans le cadre d'une commission rogatoire - mais pas aux administrations fiscales. La Principauté souhaiterait que soient précisés les cas où elle sera dans l'obligation d'ouvrir ses livres de comptes bancaires aux requêtes d'administrations fiscales.

Andorre, gentil paradis fiscal rattrapé par la crise financière

Andorre, gentil paradis fiscal rattrapé par la crise financière , Le Monde, 24 mars 2009

Un dépôt régulier de 30 000 euros par mois et en liquide ?" La proposition enchante Maria S., chargée de clientèle au Banco Privada de Andorra, à Andorre-la- Vieille, capitale de la principauté pyrénéenne dont le président de la République française est le co-prince. L'inconnu que vous étiez il y a une minute encore a été invité dans un bureau anonyme mais confortable ; il s'est vu proposer une tasse de café et un - très - léger questionnaire.

Vous vous inventez alors une profession libérale (prothésiste ou avocat) et un lieu de résidence proche (Toulouse) et Maria vous félicite de placer loin des griffes du fisc français le fruit de votre travail. Maria répond volontiers à vos questions. Non, la banque n'héberge pas les comptes de trafiquants de drogue. "En trente ans de carrière je n'en ai jamais vu, dit-elle. Si vous me parliez de déposer 1 million d'euros par jour, la décision dépendrait du conseil d'administration. Et ils diraient non ! Nous connaissons tous nos clients."

Vos inquiétudes sur la loi qui doit être votée en novembre sur la levée du secret bancaire ? "Contrairement à ce qu'écrivent les journaux, le secret bancaire continuera comme avant." Et si le client demeure sceptique ou craintif, on lui rappelle que des filiales des banques andorranes existent dans des paradis fiscaux purs et durs : Panama, Uruguay...

L'accueil des fraudeurs des fiscs français ou espagnol est excellent dans les banques andorranes. Normal : elles en vivent. Les 20 milliards d'euros de dépôts, affichés par les établissements de la principauté, liquides à 60 %, proviendraient à 80 % de l'évasion fiscale. Il s'agit bien sûr d'une estimation. "Le ratio a un peu diminué ces dernières années, tempère un banquier andorran qui ne souhaite pas être cité. C'est plutôt 70 % à 75 %, car l'économie andorrane s'est développée." Les quatre cinquièmes de ces fraudeurs seraient des Espagnols. Par exemple, le dentiste de Barcelone vient régulièrement déposer son épargne. C'est lui aussi qui fait monter les prix de l'immobiler : un chalet au pied des pistes vaut rarement moins de 1 million d'euros.

Point n'est besoin, pour notre dentiste barcelonais, d'effectuer chaque semaine plusieurs centaines de kilomètres pour se rendre au guichet de sa banque. Le plus simple pour frauder le fisc est de constituer une société civile immobilière (SCI) en Andorre, qui fera l'acquisition d'un appartement en France ou en Espagne. Le dentiste deviendra alors locataire de sa propre SCI et transférera le montant du loyer sur un compte bancaire andorran. Le sien. La SCI peut aussi lui louer des oeuvres d'art, un bateau... Les embarcations battant pavillon andorran ne se comptent plus dans le port de plaisance de Barcelone.

Certains chefs d'entreprise audacieux ont bâti une société écran en Andorre pour qu'elle fournisse prestations et services à l'entreprise réelle qu'ils dirigent en Espagne ou en France. Il faut toutefois que le service soit réel pour justifier le paiement effectué en Andorre. Les services fiscaux se montrent curieux lorsqu'il s'agit d'échanges avec des paradis fiscaux.

Autre variante, cette société andorrane, forcément mal gérée, peut avoir encaissé de confortables avances pour des prestations qui seront jugées défectueuses. Le chef d'entreprise n'aura plus qu'à saisir la justice pour obtenir condamnation de la société écran, laquelle devra restituer les avances perçues, plus des dommages et intérêts. La beauté de la chose tient au fait que la justice ordonne et valide le retour en France - ou en Espagne - de capitaux sortis illégalement et désormais blanchis.

Andorre n'est toutefois pas Panama ni même Monaco. "Nous n'autorisons pas les trusts, les hedge funds et autres fiducies, expliquent les responsables politiques andorrans. Nous sommes des gentils." Les barons de la drogue blanchiraient leurs capitaux ailleurs que dans les Pyrénées. Mais, comme le fait remarquer un Français expatrié en Andorre : "Des commerçants andorrans dont le stock ne tourne pas mais qui déposent quand même 15 000 euros par jour à la banque, j'en connais."

"On est en chemin pour arrêter de jouer au c...", dit un officiel qui ne souhaite pas être cité. C'est-à-dire de ruser avec les contraintes. Un exemple : en principe, nul ne peut devenir andorran s'il ne réside au moins la moitié de l'année sur place. Mais bien des Andorrans sont payés pour faire fonctionner le chauffage et l'électricité de logements vides toute l'année. Les factures servent de preuve de résidence.

Dès la victoire, en mai 2005, du Parti libéral d'Andorre, Albert Pintat, nommé chef du gouvernement, et son ministre des finances, Ferran Mirapeix, ont souhaité cesser de ruser. Sur la base de deux études commandées au cabinet de conseil McKinsey et à Michel Camdessus, ex-directeur général du FMI, ils ont travaillé à inventer un futur "normalisé" pour Andorre. Car les conclusions des deux rapports étaient sans appel : le resserrement progressif de la surveillance internationale sur les places offshore et la meilleure coordination des Etats dans la lutte contre le blanchiment des capitaux obligeraient les paradis fiscaux à évoluer.

"Un petit pays comme le nôtre n'a pas les moyens d'être une exception. Il ne peut pas continuer dans l'opacité", confirme M. Pintat. Sous-entendu : nous n'avons pas d'armée qui nous permette de soutenir ce statut d'exception. Mais comment faire passer le message quand 98 % de la population s'enrichit du tourisme, du secret bancaire et d'une fiscalité inexistante ? La réponse est simple : le message ne passe pas ! "Vous n'imaginez pas les résistances que nous avons rencontrées, y compris au sein de notre propre parti", dit Ferran Mirapeix, ministre des finances. "Au plan politique, Albert Pintat et moi-même sommes carbonisés", assure-t-il. M. Pintat a choisi de ne pas se représenter et M. Mirapeix est "grillé" au sein du Parti libéral d'Andorre. Tous deux affichent toutefois une immense satisfaction : avoir accéléré la mutation du pays. "Le point de non-retour est désormais dépassé", affirme M. Mirapeix.

En quatre ans, le cadre législatif andorran a changé en profondeur. La loi sur les investissements étrangers permettra aux capitaux venus d'ailleurs de se passer d'un partenaire andorran à vocation majoritaire. L'industrie du "prête-nom", qui s'est développée ces dernières années - un investisseur étranger doit rémunérer un Andorran qui accepte en façade d'être majoritaire de l'entreprise commune - mourra de sa belle mort.

En novembre, une nouvelle loi lèvera également le secret bancaire et des conventions de double imposition devraient être signées avec les grands pays. La France devrait alors renoncer à la retenue à la source de 33 % qui empêche l'industrie des services andorrans de se développer.

La loi qui oblige les entreprises andorranes à développer une comptabilité est également votée et sera progressivement mise en application. "Les citoyens n'en voulaient pas", dit M. Mirapeix. Exonérés de tout impôt direct, les commerçants avaient envie de continuer à confondre leur compte bancaire personnel et celui de leur entreprise. La loi sur les plus-values immobilières a été votée pour casser la spéculation... La sortie progressive d'Andorre du statut de paradis fiscal était programmée. "Nous avions encore besoin de quelques années pour que le message passe dans la population", reconnaît un banquier. Mais la crise financière et la tentation des grands pays de pointer du doigt les paradis fiscaux obligent Andorre à forcer le pas. C'est peu dire que la population n'y est pas préparée.

Yves Mamou

Les "zones grises" en 9 questions

Les "zones grises" en 9 questions , Le Monde, 24 mars 2009

Pendant plusieurs décennies, les grandes puissances économiques ont fait preuve d'une extrême tolérance à l'égard des paradis fiscaux. Certaines, comme le Royaume-Uni, les ont même laissé prospérer sous leur pavillon, en Europe et dans les Caraïbes. Ce temps est révolu.

Pour la première fois, sous le choc de la plus grave crise financière qu'ait connue le monde depuis soixante ans, les chefs d'Etat et de gouvernement partagent la volonté de mettre fin aux dérives des paradis fiscaux.

Ces "zones grises" de la finance privent, en effet, les nations d'une part substantielle de leurs recettes fiscales, à un moment où l'effort de relance de l'économie mondiale assèche les finances publiques. Le manque à gagner fiscal est estimé à 100 milliards de dollars par an pour les Etats-Unis, à 30 milliards d'euros pour l'Allemagne et autour de 20 milliards d'euros pour le Royaume-Uni et la France.

En outre, le fonctionnement opaque des paradis fiscaux, où circule, sans discernement, de l'argent propre et sale, compromet le travail de reconstruction du système financier mondial, un chantier essentiel pour que revienne la confiance. La communauté internationale a pris conscience qu'aucune refondation digne de ce nom ne pourra être entreprise si subsistent, dans le monde, une cinquantaine d'Etats où la finance peut opérer sans transparence.

Qui sont-ils ?

Sous le vocable "paradis fiscaux", se cachent des pays dotés d'un régime fiscal avantageux, voire inexistant, mais aussi des centres financiers dits "offshore". Le premier groupe, celui des paradis fiscaux stricto censu, est constitué d'Etats et de territoires offrant un abri à des non-résidents (entreprises, individus etc.) qui souhaitent échapper à l'impôt. Ceux-ci bénéficient alors d'un régime fiscal similaire à celui des résidents, voire, souvent, plus avantageux, destinés à les attirer.

Le second groupe, celui des centres financiers dits offshore, est composé d'Etats et de territoires qui hébergent des banques, des compagnies d'assurance et des gestionnaires de fonds - notamment de fonds spéculatifs (les hedge funds) -, mais ne disposent ni n'appliquent aucune régulation sérieuse.

Le terme offshore signifie que leur régime administratif de faveur s'applique à l'activité économique produite depuis ce territoire. Ainsi, pour profiter de leur environnement déréglementé, il suffit parfois aux entreprises d'y ouvrir une simple boîte aux lettres. Si les paradis fiscaux ne sont pas tous des "paradis réglementaires", en revanche, les centres financiers offshore sont la plupart du temps aussi des paradis fiscaux.

Les paradis fiscaux sont-ils tous nocifs et condamnables ?

Les paradis fiscaux ne sont pas hors-la-loi en cela qu'ils proposent des taux d'imposition allégés. Il n'est pas prévu, en effet, d'harmonisation des régimes fiscaux au plan mondial, pas plus que dans l'Union européenne.

La cible du G20, ce sont les paradis fiscaux qui refusent de coopérer avec l'administration ou la justice, contre la fraude fiscale ou le blanchiment d'argent.

Ces Etats ou territoires "non coopératifs" se classent en trois catégories : les pays non coopératifs de droit ou de fait, qui refusent tout échange d'informations, même en dehors du domaine fiscal ; les pays qui refusent l'échange d'informations sur l'évasion fiscale (comme, jusqu'à présent, la Suisse) ou la fiscalité en général (Singapour) ; les pays à faible fiscalité pour les non-résidents, mais qui acceptent d'échanger l'information.

L'Irlande est souvent cité en exemple de paradis fiscal coopératif à l'inverse de la Suisse. De fait, hormis dans les cas criminels, la Suisse a jusqu'à présent limité ses échanges d'informations avec l'Union européenne et les Etats-Unis. Sa définition de la fraude fiscale y reste plus étroite que celle dont sont convenus les 30 pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Par ailleurs, dans l'Union européenne, trois pays (le Luxembourg, l'Autriche et la Belgique) s'abritent derrière le secret bancaire.

Quels sont les critères précis pour les identifier ?

Selon l'ONG anticorruption Transparency International, l'une des plus actives au plan mondial, qui se réfère elle-même aux critères de l'OCDE, les paradis fiscaux et, par extension, les centres financiers offshore, partagent cinq grandes caractéristiques. Ils ont en commun un secret bancaire strict, opposable à l'administration fiscale d'un pays étranger voire au juge étranger, ce qui en fait aussi, souligne l'ONG des "paradis judiciaires" ; pas, ou peu, de taxes sur les revenus, sur les bénéfices ou sur les patrimoines, particulièrement pour les non résidents ; des conditions d'installation de sociétés et d'ouverture de comptes peu contraignantes, assorties une protection sociale minimum ; une coopération judiciaire et fiscale internationale inexistante ou limitée. Enfin, ce sont des pays stables sur les plans économique et politique.

Cette définition va donc bien au-delà des aspects fiscaux. Une cinquantaine de pays répondent à ces critères, dont la moitié sont situés en Europe. On trouve des pays comme la Suisse et le Luxembourg, des principautés comme celles du Liechtenstein, d'Andorre, Monaco et des territoires comme les Bahamas, les îles Caïmans - et leur rue principale bordée de milliers de boîtes aux lettres -, les îles anglo-normandes, etc.

Quel est leur poids dans l'économie ? qu'y fait-on concrètement ?

Il est difficile de disposer de données précises, du fait de l'opacité régnante, mais selon les experts internationaux, plus de 10 000 milliards de dollars d'actifs financiers seraient détenus et gérés via les paradis fiscaux, par l'intermédiaire des 4 000 banques, des 2 000 fonds spéculatifs et des 2 millions de sociétés écrans qui y sont établis. Environ 50 % des flux financiers mondiaux y transiteraient !

Ces paradis fiscaux et réglementaires abritent des opérations financières tout à fait légales et légitimes, effectuées à moindre coût. Des sociétés de réassurance s'y établissent pour assurer les risques pris par les compagnies d'assurance mondiales. Des banques y ouvrent des filiales afin d'y effectuer des opérations sur devises ou des montages financiers défiscalisés, pour le compte de leur clientèle d'entreprises, ou encore, afin d'y domicilier les comptes de riches clients particuliers établis dans des pays politiquement instables ou dotés d'un système bancaire fragile.

Mais la réglementation souple de ces Etats et territoires permet aussi, et c'est là le coeur du problème, de réaliser des opérations illégales, à des fins de fraude fiscale ou de blanchiment d'argent.

Les flux illégaux sortant des pays en développement sont estimés entre 500 à 800 milliards de dollars dont 20 à 40 milliards pour l'argent de la corruption, 150 à 250 milliards de dollars pour le crime et 350 à 500 milliards de dollars pour la fraude fiscale commerciale.

Quelle est leur responsabilité dans la crise ?

Les centres financiers offshore, dérégulés, sont vivement critiqués depuis qu'a éclaté la crise financière internationale. Beaucoup de produits dérivés complexes, qui sont à l'origine de la crise financière mondiale, ont été conçus ou ont transité par ces territoires. Ces places financières sont accusées d'avoir nourri les bulles spéculatives et alimenté "la finance casino". Elles portent une responsabilité directe dans la crise.

Quelles sont les réformes envisagées ?

La pression monte sur les paradis fiscaux à l'approche du G20 du 2 avril à Londres, qui entend faire de la lutte contre l'opacité financière l'une de ses priorités, avec à la clé, une nouvelle liste noire des centres refusant de répondre aux requêtes fiscales de pays tiers. La liste aujourd'hui en vigueur, établie par l'OCDE, ne compte que trois pays : Andorre, la principauté du Liechtenstein et Monaco.

Encouragée par la France et l'Allemagne, la présidence britannique du G20 a demandé à l'OCDE de l'aider à recenser les pays non coopératifs, afin de les pousser à lever leur secret bancaire, en cas d'enquête administrative ou judiciaire. Le sujet est éminemment politique car à la différence des années 2000, où le débat sur les paradis fiscaux portait surtout sur les centres offshores "exotiques", l'attention se focalise sur la question du secret bancaire. Le spectre est donc plus large. De grands Etats sont visés : la Suisse, l'Autriche, le Luxembourg, Hongkong et Singapour. La question n'est en que plus polémique et délicate à résoudre. Mais en s'attaquant à tout le monde en même temps, les chefs d'Etat se donnent les moyens d'un progrès global considérable.

Les paradis fiscaux, et les centres financiers non coopératifs, joueront-ils le jeu ?

Les grands pays, comme l'Autriche et, surtout, la Suisse, mènent une activité diplomatique intense, pour ne pas figurer sur une liste noire et être de facto mis au banc de la communauté financière internationale. Ils commencent aussi à donner des gages, jugés sérieux, en faveur d'une coopération conforme aux standards internationaux.

L'enjeu pour les paradis fiscaux est désormais de sortir des radars, en signant des accords d'échanges de renseignements avec d'autres Etats ou en modifiant leurs lois. Singapour et Hongkong ont annoncé des projets de loi visant à changer leurs pratiques fiscales. Le Liechtenstein cherche à faire oublier les récentes affaires qui ont entaché sa réputation. Jersey et Guernesey renégocient leurs conventions fiscales. Seul Monaco campe encore sur ses positions. Pour les experts, ces Etats n'ont pas le choix. Ils sont le dos au mur. Ils jouent leur réputation. S'ils ne coopèrent pas, ils courent le risque d'une perte de confiance de la part des investisseurs internationaux.

Déjà, la suspicion s'est cristallisée sur eux. Entre la fin de l'année 2007 et le début de 2008, du fait de la crise financière, 1 000 milliards de dollars ont été sortis des fonds spéculatifs par des investisseurs inquiets pour leurs placements.

L'an dernier, la Suisse, qui a bâti toute sa réputation et sa richesse sur la sécurité, a perdu à elle seule 800 milliards d'euros d'actifs sous gestion. "Les temps changent. Les investisseurs sortent des boîtes noires de la finance mondiale", observe Daniel Lebègue, ancien directeur du Trésor, président de Transparency International en France.

Y aura-t-il des sanctions pour les récalcitrants ?

Cette question sera débattue au G20 du 2 avril à Londres. Plusieurs chefs d'Etat européens sont favorables à l'élaboration d'une liste noire, avec mesures de rétorsion à la clé, pour forcer la main des récalcitrants, dont Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Gordon Brown. De son côté, le président des Etats-Unis, Barack Obama, dont la position servira de référence à celles de pays comme le Canada et du Japon, est favorable à la prise de sanctions. La nouvelle administration américaine appuie ainsi la proposition de loi d'un sénateur, Carl Levin, qui prévoit des sanctions pour les contribuables fraudant le fisc et pour les paradis fiscaux refusant de coopérer avec l'administration américaine. Une idée serait de supprimer les licences bancaires aux banques non coopératives.

En France, le gouvernement veut contraindre les banques qui ont des filiales dans les paradis fiscaux à rendre ces activités transparentes et à coopérer avec l'administration fiscale. Dans l'Union européenne, des voix s'élèvent pour s'inspirer de l'exemple américain en menaçant les pays tiers de fermer l'accès de l'Europe à leurs banques si elles ne coopèrent pas en matière de fiscalité et de blanchiment.

Quel impact aurait la disparition des paradis fiscaux sur l'économie mondiale ?

Cela entraînerait plus de transparence et d'équité dans la sphère économique. Mais un tel scénario aurait aussi des répercussions directes sur les agents économiques. Il faudrait ainsi s'attendre, quasi mécaniquement, à une baisse importante des profits des multinationales qui, aujourd'hui, exploitent au mieux les possibilités d'allégement fiscaux ou d'exonération existant dans le monde, bien à l'abri du secret bancaire.
Les nombreuses filiales que possèdent les sociétés du monde entier - c'est le cas aussi en France - dans des Etats sans fiscalité leur ont permis d'alléger considérablement leurs charges d'impôts, au cours des dernières années.

Anne Michel

Haro sur les paradis fiscaux

Haro sur les paradis fiscaux , Le Monde, 24 mars 2009

Nul ne ferait grief à Barack Obama d'ignorer où se trouve Andorre. Ni à Hu Jintao de confondre Jersey et Guernesey. Ni même à Nicolas Sarkozy de ne pas situer Nauru dans l'Océanie. Pourtant, malgré leur taille lilliputienne, ces entités vont occuper pendant quelques heures les discussions des grands de ce monde, lors du sommet du G20 qui se tient à Londres le 2 avril. Il est même possible que, faute de s'entendre sur l'essentiel - la relance coordonnée de l'économie mondiale et l'architecture du système financier de demain -, les dirigeants les plus puissants de la planète se mettent assez vite d'accord pour réguler ces places financières qui prospèrent aux marges du système.

Ces paradis fiscaux, comme on les appelle faute de mieux, ont longtemps fait de secret vertu. Signe de leur opacité : ils ne répondent à aucune définition officielle. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se contente d'en donner trois caractéristiques : une taxation sur le capital nulle ou insignifiante, l'absence de transparence et de fortes réticences à communiquer la moindre information à une autorité étrangère. Des caractéristiques suffisamment floues pour englober les coffres-forts suisses et les boîtes aux lettres des îles Caïmans.

Etablir la liste précise des paradis fiscaux relève donc de la gageure. Selon l'OCDE, qui ne devrait communiquer sa liste qu'au G20, environ 45 pays y figurent. Ils sont près du double, affirment les ONG. Quel est leur poids financier ? Environ 1 700 milliards de dollars, a avancé le FMI en 2000. Sept fois plus (11 500 milliards), si l'on en croit les conclusions publiées par le Réseau mondial pour la justice fiscale en 2005. De telles sommes n'auraient pu trouver le chemin des paradis fiscaux sans l'accord - la complicité disent les ONG et les syndicats - des grandes places financières. Au nom de la concurrence entre les entreprises, de la libre circulation des capitaux, et de la nécessité de diminuer partout le rôle des Etats, et donc le poids de l'impôt, les paradis fiscaux ont longtemps été tolérés voire encouragés. La seule présence de ces chevau-légers dans la compétition mondiale contraignait les Etats à se réformer. Chaque grand pays a d'ailleurs les siens. Parmi les plus connus, les Bermudes, Antigua voire l'Etat du Delaware pour les Etats-Unis, Andorre et Monaco pour la France, les îles Anglo-Normandes voire la City pour la Grande-Bretagne, la Suisse, le Liechtenstein et le Luxembourg pour l'Allemagne. De même, toutes les grandes entreprises y auraient recours. Selon le mensuel Alternatives économiques de mars, les entreprises du CAC 40 détiendraient 1 470 filiales dans ces paradis fiscaux. Si BNP Paribas arrive en tête (189 filiales recensées), la banque est suivie par LVMH (140) et Schneider (131 dont 43 dans la seule City britannique où créer une société ne coûte que 250 euros).

Mais le phénomène atteint des proportions telles - le manque à gagner fiscal pour les Etats-Unis s'élève à 100 milliards de dollars - qu'il est devenu difficilement tolérable. Surtout, par leur opacité, les paradis fiscaux, qui ont contribué aux turpitudes de la finance, nuisent aujourd'hui à sa régulation. D'où le changement de ton des puissances tutélaires. En ce sens, leur réforme (ou non) sera un excellent baromètre de celle du capitalisme.

Frédéric Lemaître

"Londres ou New York sont aussi des paradis fiscaux"

John Christensen, directeur du Tax Justice Network (Réseau mondial pour la justice fiscale) , Le Monde, 24 mars 2009

John Christensen est le directeur du Tax Justice Network (Réseau mondial pour la justice fiscale), une organisation regroupant des associations qui luttent contre les effets négatifs de la finance offshore.

Quelles sont les différences entre paradis fiscaux et centres offshore ?

Un paradis fiscal est une juridiction offrant un cadre politique, fiscal, légal. Un centre financier offshore est un réseau de banques, cabinets d'audit et d'avocats, immatriculés dans un paradis fiscal. Le premier est un vaste centre commercial, le second est constitué des magasins, restaurants, cinémas qui louent l'espace. A l'exception d'endroits minuscules comme Sark, Montserrat ou Niué, dans le Pacifique sud, les paradis fiscaux sont tous des centres financiers. C'est une erreur de considérer les places offshore comme des îles sous les cocotiers ou des lieux de villégiature alpins. Des places financières comme Londres, New York, Singapour sont aussi des paradis fiscaux.

Quel est leur poids ?

Avec des actifs de particuliers sous gestion de l'ordre de 11 500 milliards de dollars, les 72 places offshore répertoriées sont au coeur du capitalisme financier. Ce n'est pas un phénomène marginal. Cette estimation datant de 2005 est aujourd'hui largement dépassée.

Depuis quand ces places extra-territoriales existent-elles ?

Le centre du Delaware (l'Etat américain) a été créé au XIXe siècle pour offrir des exemptions fiscales aux entreprises américaines. Les centres européens sont apparus dans les années 1920 pour permettre aux multinationales de payer le minimum d'impôts. L'essor des îles Anglo-Normandes a été lié aux hauts taux de taxation au Royaume-Uni dans les années 1970. La déréglementation des marchés à partir des années 1980 a été le tremplin d'une expansion effrénée des places offshore dont le nombre a plus que triplé en quarante ans. Encouragés par les grandes banques internationales, ces paradis fiscaux sortent de terre comme des champignons. Ainsi la banque Barclays pousse actuellement le gouvernement ghanéen à créer un centre financier à Accra. C'est un vrai cancer qui frappe la finance internationale.

Ces centres offshore jouent-ils un rôle dans la crise actuelle ?

Indéniablement. Les marchés fonctionnent avec efficacité et dans l'intérêt de tous quand ils sont vraiment transparents. Or, via des structures complexes, les special purpose vehicules, les centres offshore permettent aux entreprises d'alléger au maximum les taxes sur les bénéfices. Ces relais servent également à faire sortir du bilan les pertes pour les dissimuler du régulateur comme des auditeurs, des agences de notation comme des actionnaires. Enfin, ces centres facilitent la fuite des capitaux et l'évasion fiscale à grande échelle des pays en voie de développement vers les pays développés. Des moyens financiers considérables qui pourraient être investis dans des programmes sociaux, éducatifs ou écologiques sont ainsi détournés. Ces centres sont totalement imbriqués dans la finance officielle. On ne peut pas dissocier Jersey de la City de Londres, les îles Caïman de New York, le Luxembourg du continent européen. C'est "cousin cousine".

Que faudrait-il faire ?

Les centres offshore n'ont aucune utilité publique. Dans un monde idéal, ils ne devraient simplement pas exister. Toute tentative de réglementer le capitalisme sans tenir compte de leur capacité de nuisance est promise à l'échec. Au lieu de se féliciter des récentes concessions de Jersey ou de la Suisse, il faut réformer le système dans son ensemble, imposer une transparence totale qui tuerait ce cancer.

Qu'attendez-vous du G20 de Londres ?

On parle de combattre ce fléau depuis la nuit des temps, mais la Ligue des nations, les accords de Bretton Woods (signés en 1944), l'OCDE et l'ONU ont échoué faute d'une volonté politique. Il y a une bonne dose d'hypocrisie dans ce domaine. Leur existence arrange de nombreux pays, quoi qu'ils en disent. Gordon Brown n'est pas prêt à sacrifier Jersey, le satellite de la City. Il est peu probable que la déclaration - minimaliste - du G20 sur cette question soit suivie d'effet.

Propos recueillis par Marc Roche

Jersey, royaume des trusts

Jersey, royaume des trusts , le Monde, 24 mars 2009

Saint-Hélier, la très banale "capitale" de l'île anglo-normande de Jersey, respire la tranquillité et le bonheur. King Street aligne les mêmes enseignes commerciales que les artères des petites villes anglaises. Des dames aux cheveux blancs font les mots croisés du Jersey Evening Post dans l'un des nombreux salons de thé d'une bourgade où il ne se passe rien.

Avec sa côte découpée et ses jardins fleuris, la carte postale donne toutefois une impression trompeuse. Au coeur de Saint-Hélier prospère l'un des plus formidables réseaux d'institutions financières de la planète. Cette île de 186 km2 et de 90 000 habitants posée à quelques encablures de Cherbourg compte 47 succursales de banques internationales et plusieurs centaines d'administrateurs de fonds, de cabinets comptables et de bureaux d'avocats.

A la fin 2008, ce confetti de la Manche avait sous gestion 206 milliards de livres (219,4 milliards d'euros) d'actifs financiers. La plupart des avoirs sont placés dans des trusts. Il s'agit d'une structure de préservation du patrimoine propre aux pays anglo-saxons permettant à un détenteur de biens de les confier à perpétuité à un tiers, le trustee, au profit de bénéficiaires.

"On va vous recevoir" : la réceptionniste d'Equity Trust interrompt la rêverie de l'envoyé spécial du Monde impressionné par l'immense planisphère représentant les vingt-quatre bureaux à l'étranger de cette firme ayant pignon sur rue. Débordant de zèle et de jeunesse, Iain Johns, responsable de la clientèle privée, est disert et charmeur.

Pas question pour un quidam de pousser la porte du siège d'Equity Trust à Saint-Hélier et d'y déposer une valise de liquide au guichet. Ce bon vieux temps est bel et bien révolu. Le client est présenté par un intermédiaire de renom, une banque, un conseiller financier ou un bureau comptable. La constitution d'un trust est un travail fastidieux. "Know your customer" (connaissez votre client) : au nom de la transparence, le trustee doit vérifier l'identité du demandeur (passeport, factures) ainsi que la provenance des fonds, preuves à l'appui. Le montant des actifs doit être en phase avec l'activité commerciale ou la fortune déclarée. Les officines de Saint-Hélier sont par exemple abonnées au site de recherche World Check, permettant d'éliminer tout client suspect de vouloir blanchir les fonds liés au terrorisme, à la drogue ou au racket.

Les bénéficiaires et les grandes lignes de la stratégie de fructification du patrimoine figurent dans la lettre d'intention signée par les deux parties. Ensuite, plusieurs compagnies extraterritoriales basées dans un paradis fiscal des Antilles doivent gérer les différentes composantes du portefeuille, immobilier, yacht, toiles de maître, actions, lingots d'or, etc. La création de ces sociétés offshore est nécessaire puisque le trust, entité à la fois légale et virtuelle, ne peut s'adonner à aucune activité commerciale.

Le coût d'établissement d'un trust dépend de sa complexité. Le tarif va de 10 000 à 20 000 livres pour les véhicules simples à plusieurs centaines de milliers de livres pour les montages les plus complexes, auxquels s'ajoutent des frais d'administration et les honoraires facturés à l'heure. Petites fortunes s'abstenir...

Territoire dépendant de la Couronne britannique, Jersey est maître de la levée des impôts. La place extraterritoriale, qui ne connaît ni impôt sur la fortune ni taxe sur les sociétés, est souvent dénoncée comme un paradis fiscal. "Nous sommes tenus de vérifier que le trust respecte la législation du domicile fiscal de notre client et dans toutes les juridictions où les actifs sont placés", souligne Iain Johns. D'ailleurs, dans les îles anglo-normandes, l'évasion fiscale est un délit criminel. Si la confidentialité est garantie, le secret bancaire n'existe pas.

Et si les trusts ne sont pas répertoriés, les trustees sont étroitement contrôlés par le régulateur, la Jersey Financial Services Commission. "Pourquoi faudrait-il soumettre les trusts à une transparence différente de tout autre instrument financier comme les comptes courants ou d'épargne ? L'important, c'est que nous disposions de toute l'information nécessaire sur les personnes concernées", souligne son directeur général, John Harris. Dans cet immeuble vitré semblable à la plupart de ceux du voisinage, une soixantaine de "gendarmes" financiers chevronnés surveillent la régularité des transactions d'un secteur qui représente la moitié du PIB de l'île. Les trusts sont également couverts par les accords d'échanges d'informations fiscales signés entre Jersey et douze pays, dont les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et, depuis le 18 mars, la France.

Au bar du Yacht Hotel, point d'ancrage des seigneurs de l'argent, on parle toutes les langues. Dans un coin, quelques banquiers sont réunis, des bagages à leurs pieds. Il y a des voyages d'affaires dans l'air et le champagne coule à flots.

Marc Roche

Jersey, royaume des trusts

Jersey, royaume des trusts , le Monde, 24 mars 2009

Saint-Hélier, la très banale "capitale" de l'île anglo-normande de Jersey, respire la tranquillité et le bonheur. King Street aligne les mêmes enseignes commerciales que les artères des petites villes anglaises. Des dames aux cheveux blancs font les mots croisés du Jersey Evening Post dans l'un des nombreux salons de thé d'une bourgade où il ne se passe rien.

Avec sa côte découpée et ses jardins fleuris, la carte postale donne toutefois une impression trompeuse. Au coeur de Saint-Hélier prospère l'un des plus formidables réseaux d'institutions financières de la planète. Cette île de 186 km2 et de 90 000 habitants posée à quelques encablures de Cherbourg compte 47 succursales de banques internationales et plusieurs centaines d'administrateurs de fonds, de cabinets comptables et de bureaux d'avocats.

A la fin 2008, ce confetti de la Manche avait sous gestion 206 milliards de livres (219,4 milliards d'euros) d'actifs financiers. La plupart des avoirs sont placés dans des trusts. Il s'agit d'une structure de préservation du patrimoine propre aux pays anglo-saxons permettant à un détenteur de biens de les confier à perpétuité à un tiers, le trustee, au profit de bénéficiaires.

"On va vous recevoir" : la réceptionniste d'Equity Trust interrompt la rêverie de l'envoyé spécial du Monde impressionné par l'immense planisphère représentant les vingt-quatre bureaux à l'étranger de cette firme ayant pignon sur rue. Débordant de zèle et de jeunesse, Iain Johns, responsable de la clientèle privée, est disert et charmeur.

Pas question pour un quidam de pousser la porte du siège d'Equity Trust à Saint-Hélier et d'y déposer une valise de liquide au guichet. Ce bon vieux temps est bel et bien révolu. Le client est présenté par un intermédiaire de renom, une banque, un conseiller financier ou un bureau comptable. La constitution d'un trust est un travail fastidieux. "Know your customer" (connaissez votre client) : au nom de la transparence, le trustee doit vérifier l'identité du demandeur (passeport, factures) ainsi que la provenance des fonds, preuves à l'appui. Le montant des actifs doit être en phase avec l'activité commerciale ou la fortune déclarée. Les officines de Saint-Hélier sont par exemple abonnées au site de recherche World Check, permettant d'éliminer tout client suspect de vouloir blanchir les fonds liés au terrorisme, à la drogue ou au racket.

Les bénéficiaires et les grandes lignes de la stratégie de fructification du patrimoine figurent dans la lettre d'intention signée par les deux parties. Ensuite, plusieurs compagnies extraterritoriales basées dans un paradis fiscal des Antilles doivent gérer les différentes composantes du portefeuille, immobilier, yacht, toiles de maître, actions, lingots d'or, etc. La création de ces sociétés offshore est nécessaire puisque le trust, entité à la fois légale et virtuelle, ne peut s'adonner à aucune activité commerciale.

Le coût d'établissement d'un trust dépend de sa complexité. Le tarif va de 10 000 à 20 000 livres pour les véhicules simples à plusieurs centaines de milliers de livres pour les montages les plus complexes, auxquels s'ajoutent des frais d'administration et les honoraires facturés à l'heure. Petites fortunes s'abstenir...

Territoire dépendant de la Couronne britannique, Jersey est maître de la levée des impôts. La place extraterritoriale, qui ne connaît ni impôt sur la fortune ni taxe sur les sociétés, est souvent dénoncée comme un paradis fiscal. "Nous sommes tenus de vérifier que le trust respecte la législation du domicile fiscal de notre client et dans toutes les juridictions où les actifs sont placés", souligne Iain Johns. D'ailleurs, dans les îles anglo-normandes, l'évasion fiscale est un délit criminel. Si la confidentialité est garantie, le secret bancaire n'existe pas.

Et si les trusts ne sont pas répertoriés, les trustees sont étroitement contrôlés par le régulateur, la Jersey Financial Services Commission. "Pourquoi faudrait-il soumettre les trusts à une transparence différente de tout autre instrument financier comme les comptes courants ou d'épargne ? L'important, c'est que nous disposions de toute l'information nécessaire sur les personnes concernées", souligne son directeur général, John Harris. Dans cet immeuble vitré semblable à la plupart de ceux du voisinage, une soixantaine de "gendarmes" financiers chevronnés surveillent la régularité des transactions d'un secteur qui représente la moitié du PIB de l'île. Les trusts sont également couverts par les accords d'échanges d'informations fiscales signés entre Jersey et douze pays, dont les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et, depuis le 18 mars, la France.

Au bar du Yacht Hotel, point d'ancrage des seigneurs de l'argent, on parle toutes les langues. Dans un coin, quelques banquiers sont réunis, des bagages à leurs pieds. Il y a des voyages d'affaires dans l'air et le champagne coule à flots.

Marc Roche

mardi 17 mars 2009

Pour un label « sans paradis fiscal »

Pour un label « sans paradis fiscal » , lesechos.fr, 17 mars 2009

Par Gérard Philippot

Face à la crise actuelle, qui s'alourdit de mois en mois, que faut-il faire ? Prendre des mesures d'urgence est nécessaire mais manifestement insuffisant. « Refonder le capitalisme » est un programme ambitieux qui promet de délicates mises en oeuvre. Fort judicieusement, les principaux dirigeants européens ont affirmé, le 22 février à Berlin, qu'il convient d'adopter très vite quelques mesures précises s'attaquant à la racine du mal, c'est-à-dire au manque de confiance du public face à l'immoralité cynique de certains hauts financiers. Les paradis fiscaux viennent en tête de liste.

Leur existence même est une source de perversité. Dans bien des grands groupes internationaux, des armées de juristes, de conseillers, de financiers, tous bien rémunérés, conseillent les directions générales sur « l'optimisation fiscale ». Celle-ci est d'abord recherchée au profit de la société, puis au bénéfice du dirigeant, puis, de proche en proche, étendue aux cadres supérieurs. Peu à peu s'installe ainsi un climat délétère, on perd de vue l'intérêt économique réel de l'entreprise et de ses clients. Chacun tire la couverture à lui.

On arrive, dans quelques cas, à des scandales absolus. Le coup de semonce reçu il y a quelques années avec Enron (qui disposait de 600 filiales et sous-filiales dans les îles Vierges pour optimiser au mieux ses finances) a été mal pris en compte. Le Congrès américain a réagi en votant la loi Sarbanes-Oxley. Ce type de réaction ne résout rien : la multiplication des contrôles ne gêne que les petits fraudeurs... et les bons citoyens. Les gros poissons savent échapper aux contrôles formels. Ce qu'il faut changer, c'est l'état d'esprit.

Nous proposons de créer un label SPF : « sans paradis fiscal ». Ce label serait accordé aux sociétés qui déclarent solennellement que leurs comptes consolidés ne comportent aucune filiale dans les paradis fiscaux et qu'ils ne font pas de commerce avec ces pays. Les commissaires aux comptes, aujourd'hui partie prenante dans la mise au point de certains montages, seraient chargés dans leur contrôle d'attester la véracité de l'affirmation.

La crise actuelle semble une bonne occasion pour lancer un tel label. Après les turpitudes des bonus accordés même aux mauvais gestionnaires, des contrôles internes clairement défaillants, du manque de traçabilité des produits toxiques, quel président d'entreprise osera dire devant des caméras de télévision : « Je veux continuer à travailler avec les paradis fiscaux » ?

Sans attendre une loi, ce label pourrait être rapidement lancé, appuyé par un texte réglementaire, et assorti de sanctions pour les cadres dirigeants et les auditeurs en cas de défaillances. Ce label deviendrait, pour les banques, un excellent argument pour vendre des produits financiers auprès du public. Beaucoup d'hommes et de femmes sont en colère quand ils constatent que leurs « conseillers financiers personnels » les ont rendus complices et victimes de produits toxiques dont les racines plongent dans une boue malodorante.

Cette idée est facile à expérimenter. Elle est simple à comprendre. Il n'est nul besoin de la mettre en place d'un seul coup au niveau mondial ou même européen. La prochaine réunion du G20, à Londres, proclamera de bonnes intentions mais des décisions unanimes seront difficiles à prendre. Dans la pratique, la France pourrait donner l'exemple. On verra rapidement si l'idée se répand, si elle fait tache d'huile à l'étranger (elle devrait plaire aux Allemands) ou si elle fait un four. Dans le premier cas, il serait facile de surenchérir et de créer alors un label « full SPF », réservé aux entreprises qui privilégient systématiquement dans leurs relations d'affaires celles qui ont un label SPF. Pour peu que les contrôleurs fiscaux se mettent de la partie et ciblent, de façon privilégiée, les entreprises s'étant dispensées du label SPF... le succès ne devrait pas tarder.

Gérard Philippot est ancien président d'Unilog

vendredi 13 mars 2009

Liechtenstein, Andorre… les paradis fiscaux donnent des gages

Liechtenstein, Andorre… les paradis fiscaux donnent des gages , Libération, 13 mars 2009

La pression est de plus en plus forte contre les paradis fiscaux, dont certains se disent prêts à davantage de coopération contre l'évasion fiscale.

En pleine tempête depuis que l’Allemagne a mis au jour une fraude fiscale impliquant près de 800 personnes pour un montant estimé à 4 milliards d’euros, le Liechtenstein tente de redorer son blason. Hier, les autorités de ce micro-Etat, qui compte moins de 35 000 habitants et dont les banques locales gèrent plus de 130 milliards d’euros, ont déclaré qu’elles étaient prêtes à nouer des accords de coopération dans les enquêtes pour fraude ou évasion fiscales.

Ces engagements surviennent à moins de trois semaines du G20 au cours duquel les dirigeants des premières économies mondiales devraient, entre autres, adopter de nouvelles mesures visant à réduire l’opacité des bas-fonds de la finance internationale. Concrètement, le Liechtenstein s’engage à communiquer, sur demande, aux autorités étrangères des informations sur les comptes bancaires en cas de fraude et d’évasion fiscale avérée. Pour autant, «il doit s’agir d’un cas concret, la pêche à l’information n’est pas possible» a précisé le Liechtenstein.

Secret. Andorre (une autre principauté), s’est dite prête à coopérer en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales… allant jusqu’à déclarer qu’elle était prête à lever le secret bancaire d’ici à novembre 2009. Même la Belgique y va de ses bonnes intentions. Son ministre des Finances, Didier Reynders, a annoncé hier la suppression prochaine du secret bancaire. Ces trois pays ont sans doute agi pour éviter de se retrouver sur le banc des accusés lors du G20 du 2 avril à Londres. D’autant que l’OCDE vient de communiquer aux pays du G20 une liste provisoire des pays non coopératifs en matière d’échange d’information fiscale. Liste sur laquelle figure justement la principauté d’Andorre, la Belgique ou encore le Liechtenstein.

Front du refus. Sur le Vieux Continent, trois autres pays continuent à faire de la résistance : le Luxembourg, l’Autriche et la Suisse. Au nom de la protection de la «sphère privée» des citoyens, ils ont créé un front commun du refus, et n’entendent pas renoncer au secret bancaire. Hier, Paris et Berlin affichaient une identité de vues, expliquant (à nouveau) que le rendez-vous de Londres serait l’occasion d’avoir ou non le courage de montrer du doigt les paradis fiscaux.

L'Autriche ne lèvera pas son secret bancaire

L'Autriche ne lèvera pas son secret bancaire , Le Monde, 13 mars 2009

L'Autriche répond aux normes de l'OCDE et n'aura donc pas besoin de lever son secret bancaire, annonce le ministre autrichien des finances, Josef Pröll, après des discussions avec l'Organisation pour la coopération et le développement économiques. "Les critères de l'OCDE doivent être les critères mondiaux [en matière de secret bancaire] sur lesquels l'Union européenne et le groupe du G20 doivent se baser", a ajouté M. Pröll.

L'Autriche est absente de la liste des paradis fiscaux "non coopératifs" établie par l'OCDE, où figurent notamment le Liechtenstein et Andorre. Le pays n'en est pas moins soumis, à l'approche du sommet du groupe des vingt économies les plus importantes au monde, prévu à Londres le 2 avril, et dans le contexte de la crise financière mondiale, à une pression croissante pour lâcher du lest sur son secret bancaire, tout comme la Suisse et le Luxembourg.

"Nous ne voulons plus figurer sur une liste noire"

Paradis fiscaux : "Nous ne voulons plus figurer sur une liste noire" , Le Monde, 13 mars 2009

Albert Pintat, chef du gouvernement d'Andorre depuis 2005, a personnellement tenu à ce que la Principauté participe aux travaux sur la transparence du Forum mondial sur la fiscalité de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Pourquoi annoncer la levée du secret bancaire ?

Nous ne voulons plus être sur la liste noire des paradis fiscaux. Et nous voulons que cesse la retenue à la source de 33,33 % que l'Etat Français prélève sur toutes nos exportations de services. Nous souhaitons également qu'Andorre soit un membre à part entière de la communauté internationale.

Quel va être le processus ?

Nous nous sommes engagés à faire voter un projet de loi qui lève le secret bancaire dans le cadre d'accords bilatéraux d'échange d'informations fiscales avec d'autres Etats. Nous allons modifier l'imposition sur les sociétés, l'imposition des non-résidents et consolider le système des taxes indirectes pour le rendre homologable avec la TVA des autres pays.

Quand cette transformation sera-t-elle achevée ?

Nous nous sommes engagés à ce que tout soit achevé avant le 15 novembre 2009. Dès que ce processus sera achevé, nous proposerons à la France surtout de signer un accord bilatéral d'échange de renseignements fiscaux.

La France a-t-elle fait pression ?

Nous avons depuis le début un dialogue permanent avec M. Christian Fremont qui est le délégué personnel du président Sarkozy pour les relations avec le gouvernement andorran.

Propos recueillis par Yves Mamou

Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?

Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ? 4 critères définis par l'OCDE, Le Monde, 13 avril 2009

– Fiscalité inexistante ou symbolique

– Secret bancaire absolu et comptes à numéros

– Accueil de non-résidents qui n'exercent pas d'activité économique (adresses boîte à lettres)

– Refus de pratiquer l'échange d'information avec d'autres Etats quand ces derniers cherchent à identifier leurs résidents qui dissimulent leurs revenus.

Leur nombre. On compte une cinquantaine de centres offshore dans la finance mondiale.

Qui va dans les paradis fiscaux ? Selon Transparency International, les centres offshore hébergent plus de 400 banques, deux tiers des 2000 hedge funds et 2 millions environ de sociétés écran.

10 000 milliards de dollars soit 7840 milliards d'euros. C'est la masse d'actifs financiers dissimulés selon les dernières estimations.

L’Europe du secret bancaire se lézarde avant le G20

L’Europe du secret bancaire se lézarde avant le G20 , le Monde, 13 mars 2009

La pression monte contre les paradis fiscaux dans la perspective du G20 qui doit leur être consacré le 2 avril, à Londres. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont ainsi prôné, jeudi 12 mars, la création d'"un mécanisme de sanction" qui pourrait passer par l'obligation faite aux banques, qui ont des filiales dans des zones opaques, à accroître leurs provisions de façon significative.

Le même jour, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) devait communiquer au G20 une liste de pays et territoires considérés comme "non coopératifs", soit la liste des pays qui refusent de répondre aux requêtes fiscales de pays tiers.

La perspective de figurer au ban de la communauté internationale a d'ores et déjà incité un certain nombre de pays et de zones franches à faire un pas. Jeudi, la principauté d'Andorre, le Liechtenstein et la Belgique se sont engagés à lever le secret bancaire, tandis que les îles Anglo-Normandes de Jersey et Guernesey promettaient de répondre aux demandes de l'administration fiscale britannique. Ces dernières semaines, les Antilles néerlandaises, Aruba et les Bermudes ont commencé à faire preuve de souplesse dans l'échange de renseignements bancaires. En février, Singapour et Hongkong ont annoncé des projets de lois visant à changer leurs pratiques fiscales.

PRESSIONS POLITIQUES

Pour obtenir ces premiers gestes, les pressions politiques n'ont pas manqué. Concernant Andorre, Nicolas Sarkozy a menacé de renoncer à sa fonction de coprince – aux côtés de l'évêque d'Urgel – si la principauté n'obligeait pas ses banques à plus de transparence. De crainte de basculer de facto dans le giron de l'Espagne, le gouvernement andorran a promis une réforme d'ici à la fin de l'année.

L'Allemagne semble avoir agi avec la même fermeté vis-à-vis du Liechtenstein, qui s'est engagé à "reconnaître les standards de l'OCDE" et à établir "de nouvelles bases" pour le secret bancaire. "Le temps est venu d'adapter notre système dans le domaine de la fiscalité" a précisé jeudi, le prince Alois von und zu Liechtenstein.

Ces évolutions sont significatives. Andorre n'est pas la Principauté de Monaco certes – curieusement silencieuse –, mais l'évolution du Lichtenstein et de la Belgique peut inciter la Suisse, le Luxembourg, Hongkong ou Singapour à se normaliser.

En France, la pression médiatique est d'autant plus forte que le magazine Alternatives économiques publie, cette semaine, une enquête qui montre que 100 % des multinationales françaises du CAC 40 ont des filiales dans les paradis fiscaux et judiciaires. Ces outils servent à mettre des bénéfices à l'abri de l'impôt mais aussi parfois à rémunérer en liquide des personnes qui facilitent l'obtention d'un contrat.

ÉTAT DES LIEUX DES PAYS OPAQUES

La stigmatisation des paradis fiscaux est d'autant plus significative que la présidence britannique du G20 a souhaité lier la question fiscale à la lutte contre le blanchiment d'argent sale. Le GAFI (Groupe d'action financière) et le Forum de stabilité financière (FSF) ont donc été saisis pour établir un état des lieux des pays opaques soupçonnés d'aider les trafiquants de drogue à blanchir leur argent.

Après les avoir laissées longtemps prospérer, les Etats veulent donc réduire la puissance des zones dites offshore. Non seulement ces milliers de milliards d'euros circulant en franchise fiscale sont accusés d'avoir aggravé la crise financière, mais ils représentent aussi un manque à gagner intolérable pour des pays contraints de creuser le déficit de leur budget pour financer la relance économique.

Tous les paradis fiscaux ne sont pas à mettre sur le même plan. "La Suisse n'est pas les îles Caïman, mais en s'attaquant à tout le monde en même temps, et notamment à de “grands” pays, le G20 se donne les moyens d'un progrès considérable!" indique un haut fonctionnaire impliqué dans la préparation du G20.

L'Autriche et surtout la Suisse mènent une activité diplomatique intense pour ne pas figurer sur une liste noire qui les mettrait au banc de la communauté internationale. De son côté, le président des Etats-Unis, Barack Obama, semble sur cette ligne, en dépit des réticences de nombreux hauts responsables de l'administration américaine, nommés par Bush et toujours en place. La position de M.Obama conditionnera celles de pays comme le Canada et le Japon.

Yves Mamou et Anne Michel

jeudi 12 mars 2009

Le Liechtenstein et Andorre, des paradis fiscaux plus transparents

Le Liechtenstein et Andorre, des paradis fiscaux plus transparents , Le Monde, 12 mars 2009

Le Liechtenstein et la principauté d'Andorre – deux des trois pays, avec Monaco, à figurer sur la "liste noire" des paradis fiscaux "non coopératifs" en matière fiscale et judiciaire de l'OCDE – ont annoncé jeudi des mesures concernant leur secret bancaire respectif. L'OCDE doit réactualiser cette liste d'ici à la mi-2009.

Le Liechtenstein a annoncé un nouvel assouplissement de son secret bancaire en l'adaptant aux normes définies par l'OCDE sur la transparence et l'échange d'informations fiscales. La principauté nichée entre la Suisse et l'Autriche espère être retirée de la liste noire des paradis fiscaux et prévoit de nouer des accords bilatéraux de coopération dans les enquêtes pour fraude ou évasion fiscale. Cette décision suit la signature, en décembre, d'un accord de coopération avec les Etats-Unis. Le Liechtenstein s'efforce d'améliorer son image
internationale après le scandale des fuites de données qui avait frappé l'an dernier sa principale banque, LGT.



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"Notre secret bancaire a toujours été destiné à assurer la protection légitime de la vie privée de nos citoyens, que nous continuerons à garantir", a affirmé le premier ministre, Otmar Hasler, dans un communiqué. "Par cette déclaration, nous tenons cependant à affirmer que la confidentialité bancaire ne pourra plus à l'avenir être utilisée pour faciliter la fraude fiscale." La principauté propose également d'aller au-delà des exigences de l'OCDE, à condition que les clients de ses banques qui détiennent des comptes secrets soient autorisés à rapatrier leurs fonds et à remplir leurs obligations fiscales dans de bonnes conditions.

La principauté d'Andorre va lever le secret bancaire d'ici à novembre 2009, dans le cadre de sa politique visant à faire sortir la principauté de la liste des paradis fiscaux. Le premier ministre libéral, Albert Pintat, a signé une déclaration dans laquelle il s'engage à faire approuver un projet de loi qui lève le secret bancaire dans le cadre d'accords bilatéraux d'échanges d'informations fiscales avec d'autres Etats. Le gouvernement devrait l'approuver avant le 1er septembre et le Parlement, "au plus tard le 15 novembre 2009", indique jeudi un communiqué officiel. Dès approbation de cette loi, la principauté proposera à ses partenaires, "et en premier lieu à la France", de signer un accord bilatéral d'échange de renseignements fiscaux. La signature de la déclaration unilatérale andorrane a eu lieu mardi à Paris.

Le président de la République française est coprince de la principauté d'Andorre avec l'évêque d'Urgell en Espagne. Evoquant la question des paradis fiscaux, lors d'une intervention télévisée début février, le président Nicolas Sarkozy avait affirmé vouloir "revoir les relations" de la France avec Andorre et Monaco. "Le gouvernement travaille d'arrache-pied pour sortir de la liste des paradis fiscaux de l'OCDE", avait alors réagi Albert Pintat.

Ces engagements surviennent à moins de trois semaines du sommet du G20 à Londres, lors duquel les dirigeants des vingt premières économies mondiales devraient entre autres se pencher sur la question des paradis fiscaux.

"Un nouvel état d'esprit dans la lutte contre les paradis fiscaux"

"Un nouvel état d'esprit dans la lutte contre les paradis fiscaux"
Par Laura Raim, publié le 22/10/2008

Dix-sept pays réunis à Paris ont relancé mardi l'offensive contre les paradis fiscaux. Daniel Lebègue, président de la section française de Transparency International, salue cette intiative.


Dix-sept pays réunis à Paris ont relancé mardi l'offensive contre les paradis fiscaux. Est-ce une nouvelle volonté politique ?
Oui. La crise a montré de manière éclatante la menace que fait peser sur le système financier ce véritable trou noir que sont les paradis fiscaux. Et ce n'est pas seulement une volonté des Etats, qui ont besoin de rentrées fiscales: les acteurs financiers eux-même reconnaissent que ces zones de non-droit et de non-transparence leur font courir des risques.

Il y a vraiment un nouvel état d'esprit. La réunion internationale de mardi constitue une étape positive dans la lutte contre les paradis fiscaux. Il était important de mettre à jour la liste des Etats non coopératifs, c'est à dire ceux qui ne participent pas à l'échange d'information entre pays en matière douanière, fiscale et judiciaire. Cette liste ne contient que trois noms alors qu'en réalité au moins la moitié des 50 paradis fiscaux ne sont pas coopératifs. Elle devrait être rendue publique au printemps prochain et à partir de ce moment là on pourra mettre la pression sur les pays coupables.

Quels sont les moyens de pression ou de rétorsion à disposition des Etats ?
La première mesure, évoquée par Nicolas Sarkozy, consiste à fermer l'accès à tous les systèmes publics de soutien aux banques qui opèrent dans des paradis fiscaux. On peut aussi fermer l'accès au marché public des entreprises qui ont leur siège dans un paradis fiscal, ou les priver du crédit à l'exportation, garanti par les Etats.

Il faut également réviser la directive européenne sur l'épargne pour qu'elle inclue les personnes morales et pas seulement les personnes physiques.

Jean-Claude Junker prétend que le Luxembourg n'est pas un paradis fiscal...
Il a tort ! Le Luxembourg n'est pas un paradis "financier" ou "bancaire" dans la mesure où il existe une surveillance et une régulation du secteur. Mais le Luxembourg est bel et bien un paradis fiscal car il garantit le secret bancaire et pratique un taux d'imposition très bas.

Pourra-t-on un jour se débarrasser des paradis fiscaux?
L'offensive contre les paradis fiscaux aura d'autant plus d'effet si Barak Obama est élu. Il a adopté une posture forte en proposant la loi "stop tax haven abuse". Si les Etats-Unis reviennent dans le jeu de la coopération internationale, on a de bonnes chances de traduire ces intentions en actes.

Mais soyons réalistes. Il y aura toujours des différences de fiscalité entre les pays. Même en Europe, on est loin de l'harmonisation. Mais les différences de fiscalité ne doivent pas faire obstruction au principe universel selon lequel chacun acquitte son impôt là où il habite ou travaille.

Suisse: le casse du siècle?

Suisse: le casse du siècle?
Par Jean-Michel Demetz, publié le 11/03/2009

A l'heure où l'exigence de transparence financière se fait plus pressante, la Confédération cherche à défendre le secret bancaire.

Sur la grand-place, la joyeuse parade de l'ours bernois avance à la cadence des soubassophones et des cymbales. Ce 26 février au soir, à l'égal de toutes les villes de Suisse, si attachées à leurs particularismes locaux, la capitale célèbre le mardi gras comme il se doit. Avec sérieux mais non sans entrain.

Derrière les murs du Conseil fédéral, le gouvernement helvétique, l'ambiance n'est pourtant pas à la fête. Aussi désemparées que lors de l'épisode des biens juifs en déshérence, voilà une décennie, les autorités de la Confédération s'interrogent sur la riposte à apporter à l'offensive lancée depuis l'étranger contre cette autre tradition dont les Suisses sont si fiers: le secret bancaire.

Quelques jours plus tôt, en effet, l'Autorité suisse de surveillance des marchés financiers a autorisé le géant bancaire zurichois UBS à livrer au fisc américain les noms de 250 de ses clients originaires d'outre-Atlantique. Une opération illégale au regard de la justice helvétique, mais rendue indispensable par le chantage yankee : une procédure pénale était pendante, c'eût été la fin immédiate de la banque.

"C'est une avancée fantastique dans notre effort pour lutter contre les abus fiscaux", a salué l'influent sénateur démocrate Carl Levin. Mais l'Oncle Sam ne s'estime pas quitte: il réclame désormais les noms de 52 000 ressortissants américains qui seraient détenteurs d'un compte en Suisse. Rien que ça. Autant dire la mise à mort du secret bancaire qui a tant contribué à la prospérité helvétique.

Panique sur les bords du Léman! Déjà, des établissements, par crainte d'hypothétiques sanctions à venir, refuseraient d'ouvrir des comptes aux binationaux helvético-américains. L'affaire est sérieuse. Pas seulement parce qu'elle met en péril un des piliers de l'économie: le secteur bancaire représenterait entre 8 % et 15 % du PIB... Mais aussi parce qu'elle écorne la souveraineté nationale, objet tout particulier de fierté, et au-delà, un des fondements du libéralisme helvétique, au coeur du contrat national.

"Les Etats-Unis, en ne respectant pas les procédures prévues par les traités, nous traitent comme une république bananière où ils seraient libres d'exporter leur loi, accuse James Nason, porte-parole de l'Association suisse des banquiers. C'est comme si, sous prétexte que dans certains Etats américains il est illégal de servir de l'alcool à un mineur de moins de 21 ans, les bars suisses ne pouvaient plus en offrir à un Américain de 18 ans!"

Bientôt sur la liste des paradis fiscaux?

Dans les faits, l'exception suisse tient à ce que le droit local distingue l'évasion fiscale - qui répond au doux euphémisme de "soustraction"- de la fraude. Si la Suisse concourt à la lutte contre cette dernière, en combattant désormais le blanchiment de l'argent sale, pour la première, c'est autre chose. Dans ce cas-là, le banquier a pour devoir de refuser de communiquer des noms à des gouvernements, sauf à risquer la prison. Dans un pays où la Constitution elle-même garantit le secret de la correspondance, on ne badine pas avec le respect de la sphère privée: la protection du compte en banque s'entend ici comme une extension de l'inviolabilité du domicile.

Mais comment maintenir sa souveraineté dans un monde globalisé qui érode de plus en plus le droit national? Depuis vingt ans, le réduit alpin est confronté de manière chaque fois plus urgente à la même question. Voilà des mois que Berlin, aujourd'hui appuyé par Londres, presse Berne de dévoiler les noms de ses citoyens soupçonnés d'évasion fiscale.

Au sommet des Vingt-Sept, le 1er mars, c'était au tour de Nicolas Sarkozy d'évoquer une possible inscription de la Confédération sur la liste des paradis fiscaux qui doit être dressée, au G 20 de Londres, le 2 avril - auquel la Suisse, malgré ses demandes, n'a pas été conviée. Dans le même temps, Bruxelles, qui avait obtenu, ces dernières années, que la Suisse impose (et reverse) une retenue à la source sur l'épargne de ses non-résidents européens - en échange du maintien du secret bancaire - souhaite renégocier cet accord à partir de 2011.

Berne n'a pas dit non, mais "la Suisse attend des Etats membres de l'UE qu'ils se mettent d'abord d'accord entre eux sur la question de la fiscalité de l'épargne", prévient Delphine Jaccard, porte-parole du département fédéral des Finances. C'est s'abriter derrière l'Autriche, le Luxembourg, la Belgique, qui restent fermement attachés à leur propre secret bancaire.

Concurrence et guerre commerciale

Dénoncer l'hypocrisie de la communauté internationale, voilà l'angle de la contre-attaque. "On fait face à une alliance en vue d'accabler la Suisse et de détourner l'attention des turpitudes domestiques", affirme Steve Bernard, directeur de Genève Place financière, un lobby des banques du canton. "Il ne faut pas être naïf, dénonce Damien Cottier, porte-parole du Parti libéral-radical, l'une des principales formations politiques. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont des concurrents directs de notre Place financière: c'est d'une guerre commerciale qu'il s'agit."

Dans un entretien accordé au Temps, le quotidien romand, et qui a fait grand bruit, Ivan Pictet, associé senior de Pictet et Cie, l'une des plus importantes banques de gestion de fortune, dévoile ce que devrait être la contre-offensive: "Sur 31 paradis fiscaux recensés par l'OCDE, 9 sont des territoires britanniques et 14 des ex-colonies de la Couronne. Il faudra aussi que la Suisse rappelle qu'elle n'est elle-même pas un paradis fiscal et se batte pour obtenir un traitement équivalant à celui de toutes les places financières, incluant celle de Singapour."

Car, comme le résume un autre banquier, à l'humeur poétique: "L'argent, c'est comme l'eau: vous pouvez bien dresser des obstacles, rien ne l'arrête."

Le chiffre

3 133 milliards de francs suisses (2 115 milliards d'euros), c'est le montant des dépôts de titres de la clientèle étrangère dans les banques suisses, fin 2007. Soit un peu plus que le PIB 2007 de la France.

A quoi sert la liste noire des paradis fiscaux ?

A quoi sert la liste noire des paradis fiscaux ?
Par Laura Raim pour LExpansion.com, lexpress.fr, 12 mars 2009

Alors que le G20 approche, les rumeurs sur la composition de la liste des pays non coopératifs en matière d'information fiscale s'intensifient. De quoi pousser certains Etats à signer enfin des accords de transparence fiscale.

Qu'est ce qu'un paradis fiscal ?

La définition de l'OCDE des paradis fiscaux non coopératifs repose sur quatre critères :

Fiscalité inexistante ou symbolique Application absolue du secret bancaire Accueil de non résidents qui n'exercent pas d'activité économique : le phénomène boîte à lettres Refus d'échanger de l'information avec d'autres Etats en matière fiscale et judiciaire quand ces Etats cherchent à identifier ses résidents qui pratiquent la fraude fiscale.

Il y aurait environ 35 paradis fiscaux non coopératifs, à ne pas confondre avec les paradis fiscaux coopératifs tels que l'Irlande : sa fiscalité est minime mais l'Etat est irréprochable en matière de d'échange d'informations.

L'OCDE a-t-elle publié la liste noire des paradis fiscaux ?

En octobre, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avait été mandatée par 17 pays, menés par la France et l'Allemagne, pour actualiser sa liste des paradis fiscaux non coopératifs. Après avoir évalué 84 pays, l'Organisation internationale a communiqué une liste provisoire au G20.

Selon la Tribune, aux trois pays qui y figuraient déjà, l'Andorre, le Liechtenstein et Monaco, l'OCDE a ajouté la Suisse, le Luxembourg, l'Autriche, Singapour et Hong Kong.

Mais ce n'est pas encore la nouvelle liste noire définitive.

Cette liste est-elle un moyen efficace de pression ?

La liste noire temporaire sert de moyen de pression pour inciter les Etats voyous à changer leurs mauvaises habitudes avant la publication définitive.

"On ne demande pas grand chose, affirme Daniel Lebègue, président de Transparency International France. On ne remet en cause ni leur régime fiscal, ni le secret bancaire pour les résidents du pays comme élément de protection de la vie privée. Mais quand on cherche à sanctionner le délit international de fraude fiscale pour nos résidents, on demande simplement que ces Etats n'y fassent pas obstacle".

D'ailleurs ça marche ! Des territoires britanniques comme Jersey, Guernesey et l'Ile de Man multiplient actuellement les accords bilatéraux d'échanges d'informations.

Après avoir signé mardi un accord de coopération fiscale avec la Grande Bretagne, Jersey va en effet signer jeudi un accord d'échange d'informations fiscales avec la France. Selon la Tribune, d'autres accords sont prévus avec l'Irlande, l'Australie et la Nouvelle Zélande.

Ces accords d'échange de renseignements sont-ils respectés ?

Malheureusement, les procédures d'échange d'information sont extrêmement compliquées. D'où le scepticisme de Richard Murphy, directeur de Tax Research au Royaume Uni : "un pays qui demande des informations fiscales sur quelqu'un doit, au préalable, avancer énormément de preuves sur l'irrégularité soupçonnée. De fait, il doit déjà savoir exactement ce qu'il cherche avant de le chercher".

Si l'on regarde l'exemple des îles Caïmans, qui ont signé un accord avec les Etats-Unis en 2001, ce n'est guère prometteur. "Des dizaines de milliers de compagnies sont enregistrées dans ce paradis fiscal et pourtant, le territoire ne prévoit que 120 demandes de renseignement dans son budget annuel", déplore Richard Murphy.

"La signature de ces accords n'est qu'un geste politique, prévient-il, et il ne faut pas que l'OCDE considère que cela suffit pour échapper à la liste noire"

La liste définitive sera-t-elle publiée un jour?

"L'OCDE aura beaucoup de mal à publier cette liste, juge Daniel Lebègue. Après tout, l'Organisation comprend des pays comme la Suisse, l'Autriche et le Luxembourg qui s'opposent farouchement à sa publication." En revanche, "le G20 ou l'UE pourraient utiliser les travaux de l'OCDE pour publier cette liste", espère t-il.

Richard Murphy est moins optimiste. "Au mieux, le G20 évoquera le besoin de transparence dans les paradis fiscaux et les sanctions qui leur seront appliquées. Mais il n'y aura pas de désignation spécifique, pays par pays, des coupables".

mercredi 11 mars 2009

Paradis fiscaux: Faits et chiffres

Les milliards de l'ombre

10 000 milliards de dollars d'actifs financiers en dépôt ou en gestion dans des paradis fiscaux.

50 % des flux financiers mondiaux transitent par les paradis fiscaux.

Selon le FMI, ces paradis hébergent 4 000 banques, les deux tiers des fonds spéculatifs et 2 millions de sociétés écrans.

Fraude fiscale au niveau mondial : entre 350 et 500 milliards, selon une étude Banque mondiale/Cnuced.

100 milliards de perte de recettes fiscales pour le Trésor américain du fait de l'existence des paradis fiscaux.

Entre 20 et 25 milliards d'euros de perte de recettes fiscales pour l'Allemagne.

Entre 15 et 20 milliards de perte de recettes fiscales pour la France (soit le déficit budgétaire de la Sécurité sociale en 2009).

Références

- Les milliards de l'ombre , lepoint.fr, 26 février 2009

L'argent caché des paradis fiscaux, Le Point, 26 février 2009

Ce jour, un article du Point

L'argent caché des paradis fiscaux

Scandale. La chasse aux 10 000 milliards de dollars placés dans les paradis fiscaux est ouverte. Enquête. Le Point, 26 février 2009. Par Mélanie Delattre

C'est le nouvel Axe du mal. « Pour l'instant, on s'est contenté d'armes trop légères. Moi, je suis pour une action à la dynamite. » Dominique Strauss-Kahn, le patron du FMI, veut-il envoyer les chars à Pyong-yang, bombarder Téhéran ? Pas du tout. Il suggère simplement d'employer les grands moyens pour en finir avec les Etats voyous de la finance mondiale, leurs armes de défiscalisation massive et leurs bombes à retardement que sont les fonds spéculatifs. Il n'est pas le seul à avoir déclenché l'artillerie lourde. Nicolas Sarkozy est lui aussi très remonté sur le sujet. Il vient d'annoncer qu'il allait « poser des questions » à ses encombrantes dépendances que sont Andorre et Monaco. Voire demander des comptes à son voisin européen, le Luxembourg. Ce dernier est pourtant dirigé par Jean-Claude Juncker, patron de l'Eurogroupe, petit club informel des argentiers de la Zone euro. Le président est revenu à la charge auprès de ses partenaires européens il y a quelques jours dans le cadre de la préparation du sommet du G20 à Berlin. Son discours : en finir avec les paradis fiscaux, rien de moins...

Longtemps complaisants à l'égard des Bahamas, des îles Caïmans et autres micro-Etats des Caraïbes, les Etats-Unis semblent eux aussi désormais décidés à s'attaquer au fléau. Emmenés par un Barack Obama signataire en 2007 (alors qu'il était encore simple sénateur) du Stop Tax Haven Abuses Act (stoppez les abus des paradis fiscaux, une proposition de loi visant à limiter l'évasion fiscale vers les territoires offshore), les Etats-Unis sont entrés dans la bataille. Après avoir obtenu le 18 février que la banque suisse UBS paie une amende de 780 millions de dollars et livre les noms de 250 clients qui ont fraudé le fisc, Washington exige maintenant des informations sur 52 000 comptes censés rester anonymes. Quand on sait que le secret bancaire suisse est né il y a presque trois siècles-en 1713 exactement-, on peut se demander quelle mouche a piqué les juges américains. Depuis la Grèce antique et ses ports détaxés, le système économique international abrite des « trous noirs » financiers qui prospèrent au nez et à la barbe des Etats sans que personne y trouve à redire.

Suspicion

Oui mais... La crise financière est passée par là. Et les paradis fiscaux sont accusés de tous les maux : leur manque de transparence rend difficile le repérage des risques bancaires et entretient la méfiance des marchés, une catastrophe en ces temps de suspicion généralisée. Comme le rappelle Daniel Lebègue, président de la section française de l'ONG Transparency International, « la faveur fiscale offerte par ces Etats s'accompagne bien souvent d'une opacité législative » . Les deux conditions doivent être réunies pour qu'un pays soit considéré comme un paradis fiscal au sens de l'OCDE (voir carte) . Malgré son taux d'imposition sur les sociétés de 12,5 %, l'Irlande n'est pas un paradis fiscal au sens strict du terme. Juste une île à la fiscalité très légère. En revanche, les rochers tropicaux de la mer des Caraïbes et du Pacifique, de même que bon nombre de micro-Etats européens voisins de grands pays (Monaco, Liechtenstein, Andorre ou les îles Anglo-Normandes) présentent le double avantage d'offrir des facilités fiscales et des lacunes réglementaires.

« Jusqu'il y a six mois, Andorre-pays situé à quelques heures seulement de Paris-n'exigeait pas des sociétés basées sur son territoire qu'elles publient un bilan et un compte de résultat » , rappelle Pascal de Saint-Amans, chef de la division chargée de la coopération internationale et de la compétition fiscale à l'OCDE. Un laxisme qui prévaut toujours dans bon nombre de ces Etats d'opérette. Aux Bahamas, le président de la banque centrale est un amiral à la retraite qui ne connaît rien à la finance. Quand on sait que l'archipel compte plus de 200 établissements financiers et autant de hedge funds, il y a de quoi frémir. Ou se réjouir, selon que l'on se trouve du côté du contribuable floué par la crise financière ou du côté des banques, entreprises et riches particuliers qui profitent de ces oasis de liberté pour alléger leur facture fiscale en toute légalité.

« La liberté de circulation des hommes et des capitaux est un droit inaliénable » , rappelle l'avocat Eric Ginter, spécialiste de la fiscalité au sein du cabinet Sarrau Thomas Couderc. Il n'est pas interdit d'avoir un compte au Luxembourg s'il est déclaré. Pas plus qu'il n'est illégal de constituer une fondation pour organiser sa succession et, ou de monter une société dans lequel votre nom n'apparaît pas. « C'est même pour certains clients issus de pays instables, à l'administration policière, une question de survie » , insiste-t-il. Certes. Mais c'est surtout pour un petit nombre de VIP-cadres dirigeants de multinationales, héritiers de grandes fortunes industrielles, stars hollywoodiennes, émirs et oligarques-le moyen d'échapper à toute contrainte fiscale et sociale. Eden pour beautiful people paresssant sur les plages de Lyford Cay, résidence très privée (et non fiscalisée) des Bahamas, à l'instar de Sean Connery, d'Alain Wertheimer-co-propriétaire de Chanel-et de plusieurs membres de la famille Bacardi, les paradis fiscaux servent également de refuge à des individus moins fréquentables. Criminels et trafiquants en tout genre raffolent de ces maillons faibles du système financier international. En rompant la chaîne de la traçabilité de l'argent, les paradis fiscaux permettent aux fonds à la provenance douteuse de réintégrer le circuit bancaire traditionnel et de brouiller les pistes en cas de recherche de leur origine. Les enquêteurs de Tracfin se sont ainsi arraché les cheveux sur le cas d'un ressortissant russe désireux d'acquérir un important bien immobilier au travers d'une série de sociétés taxis chypriotes n'ayant pas d'activité véritable et utilisant des comptes bancaires allemands et suisses.

Pourtant, les activités interdites et crapuleuses ne suffisent pas à faire vivre à elles seules ces Etats coffres-forts ! 10 000 milliards de dollars d'actifs financiers dorment dans les caisses des paradis fiscaux. Presque cinq fois le PIB de la France. Bien plus que ne peut en générer l'industrie du crime. D'autant que les politiques de lutte contre le blanchiment d'argent sale, désormais coordonnées au niveau européen, commencent à porter leurs fruits. « Hormis à Chypre ou à Gibraltar, qui continuent à fermer les yeux sur un certain nombre de trafics, il est désormais difficile de placer de l'argent dans la sphère occidentale sans se faire repérer » , constate Daniel Lebègue.

Acrobaties financières

Si les paradis fiscaux continuent à prospérer, c'est d'abord parce qu'ils ont su se rendre indispensables dans un monde capitaliste globalisé, selon l'argument de leurs défenseurs ! Qu'on en juge : 50 % du commerce international y transite et ils hébergent, selon le FMI, 4 000 banques, les deux tiers des hedge funds et 2 millions de sociétés écrans. L'appétit de la finance internationale pour ces Etats moins-disants en termes de contraintes et de réglementations explique que des confettis comme les Caïmans ou les Bermudes aient pu se hisser en tête du classement des plus grandes places financières mondiales (voir reportage) . Les spéculateurs ne sont pas les seuls à s'y précipiter.

Les plus grands établissements financiers y sont eux aussi largement représentés. Citigroup, première banque du monde, possède 427 filiales dans des centres off-shore, y compris dans des endroits aussi exotiques que Saint-Kitts-et-Nevis, Macau et les îles Turques-et-Caïques. Bank of America, 311. Et les françaises ne sont pas en reste. Mutualistes ou commerciales, toutes y ont des antennes (voir encadré) . Non contentes de s'y livrer à des acrobaties financières derrière des sociétés écrans, trusts ou special purpose vehicles , elles font la promotion des paradis fiscaux auprès de leurs clients, leur proposant divers produits défiscalisés et juteux investissements. On pouvait ainsi lire il y a quelques semaines sur le site de BNP Paribas, nettoyé depuis : « Aux îles Caïmans, nos professionnels oeuvrent au service d'un grand nombre d'entités financées par quelques-unes des grandes banques et entreprises commerciales mondiales. Notre offre comporte entre autres des services de trustee, d'administrateur, de secrétaire général et d'agence principale/siège social. » Le kit de la société écran à monter soi-même, en quelque sorte... A la Société générale, un client s'est carrément vu proposer par son agence locale d'exfiltrer vers le Luxembourg une partie de son argent « oublié » par l'administration... Ces établissements, qui tendent une main à l'Etat pour se renflouer après leurs incartades de ces dernières années, le volent de l'autre, avec l'aide indirecte des paradis fiscaux dans les deux cas. « Nous ne sommes pas régulateurs ni directeurs des services fiscaux de l'Etat, rétorque un banquier, le seul qui ait accepté de nous recevoir dans le cadre de cette enquête. On ne fait pas les lois, on les applique. »

Cela tombe bien, elles pourraient changer plus vite que prévu. Face aux désordres du capitalisme financier, les grandes puissances semblent décidées à agir. En obligeant les banques nationales à déclarer les comptes offshore de leurs clients, l'Irlande a déjà récupéré plus de 1 milliard d'euros. Cette mesure simple (et qui peut rapporter gros) est étudiée de près par le gouvernement français, qui pourrait s'en inspirer (voir interview d'Eric Woerth ) en attendant que l'OCDE livre sa nouvelle liste des paradis fiscaux, préalable nécessaire à toute mesure de rétorsion massive. Dénonciation des conventions fiscales avec les Etats qui n'acceptent pas l'échange de renseignements, taxation des ressortissants disposant de revenus importants (même légaux) dans les paradis fiscaux, obligation pour les banques de signaler d'éventuels soupçons de fraude fiscale, comme le prévoit le projet de directive européenne sur le secret bancaire : les moyens d'affaiblir les paradis fiscaux et de les faire entrer dans le rang ne manquent pas.

Encore faudrait-il pour cela que les Etats occidentaux en aient réellement la volonté. Après tout, eux qui jouent les vierges effarouchées ne sont pas les derniers à utiliser les paradis fiscaux. « S'il n'existait pas d'écrans noirs derrière lesquels se cacher, comment Paris, qui respecte scrupuleusement la convention de l'OCDE interdisant la corruption d'agents publics étrangers, vendrait-il ses centrales électriques, ses trains, ses Rafale ? » interroge le fiscaliste Rémi Dhonneur, du cabinet DLF. Sans qu'il soit question de pots-de-vin, France Domaine, l'institution chargée de gérer les biens immobiliers de l'Etat, s'est fait épingler dans le dernier rapport de la Cour des comptes pour avoir à plusieurs reprises cédé des immeubles de prestige à des sociétés immatriculées dans des paradis fiscaux, notamment au Luxembourg et aux îles Vierges britanniques, sans alerter Tracfin.

Ennemi intérieur

Dans les couloirs de l'Assemblée nationale, où les membres de la mission d'information parlementaire chargée de se pencher sur le sujet s'apprêtent à entendre Daniel Lebègue, le député PS Henri Emmanuelli fait part de son scepticisme. « Tout le monde est plein de bonne volonté sur le sujet, et le moment s'y prête, mais vous allez voir... Entre les grandes annonces et leur application, un certain temps va s'écouler » , prédit-il. Déjà, le gouvernement-pourtant unanime sur le sujet-semble lâcher du lest. Le président de la République avait affirmé au dernier Conseil européen à Bruxelles qu' « il ne serait pas normal qu'une banque à qui nous octroierions des fonds propres continue à travailler dans des paradis fiscaux » . Or cette question n'a, selon Baudouin Prot, DG de BNP Paribas, jamais été abordée par les pouvoirs publics dans le cadre des contreparties exigées dans le plan de soutien à ces établissements bancaires !

Par ailleurs, « si l'on veut lutter efficacement contre le fléau des paradis fiscaux, il faut une action coordonnée, au moins au niveau européen » , estime Daniel Lebègue. C'est là que le bât blesse. Car l'ennemi n'est pas seulement à la frontière, il est à l'intérieur. « Le Luxembourg, l'Autriche et dans une moindre mesure la Belgique connaissent une forme plus ou moins hermétique de secret bancaire. Or, dans l'Union européenne, les décisions qui touchent à la fiscalité se prennent à l'unanimité... On voit mal ces trois pays scier la branche sur laquelle ils sont assis » , commente Henri Emmanuelli. Il a ainsi fallu cinq ans d'âpres négociations pour que les pays de l'UE adoptent une directive a minima sur la fiscalité de l'épargne. Obtenir des Vingt-Sept qu'ils se prononcent en faveur de la levée du secret bancaire et obligent les établissement financiers à signaler des soupçons de fraude fiscale, comme le voudrait le projet de directive écrit par la Commission, risque de prendre des siècles. Bazooka ou pétard mouillé, la lutte contre les paradis fiscaux n'a pas fini de faire parler. Cela ne rapportera peut-être pas d'argent dans les caisses de l'Etat, mais sert au moins à détourner l'attention de l'opinion des vraies questions que sont le pouvoir d'achat et la dette publique. Dette qui-ne nous y trompons pas-finira en partie négociée et placée dans un paradis fiscal...

Les milliards de l'ombre

10 000 milliards de dollars d'actifs financiers en dépôt ou en gestion dans des paradis fiscaux.

50 % des flux financiers mondiaux transitent par les paradis fiscaux.

Selon le FMI, ces paradis hébergent 4 000 banques, les deux tiers des fonds spéculatifs et 2 millions de sociétés écrans.

Fraude fiscale au niveau mondial : entre 350 et 500 milliards, selon une étude Banque mondiale/Cnuced.

100 milliards de perte de recettes fiscales pour le Trésor américain du fait de l'existence des paradis fiscaux.

Entre 20 et 25 milliards d'euros de perte de recettes fiscales pour l'Allemagne.

Entre 15 et 20 milliards de perte de recettes fiscales pour la France (soit le déficit budgétaire de la Sécurité sociale en 2009).

Pour en finir avec les paradis fiscaux

Pour en finir avec les paradis fiscaux