mardi 24 mars 2009

Jersey, royaume des trusts

Jersey, royaume des trusts , le Monde, 24 mars 2009

Saint-Hélier, la très banale "capitale" de l'île anglo-normande de Jersey, respire la tranquillité et le bonheur. King Street aligne les mêmes enseignes commerciales que les artères des petites villes anglaises. Des dames aux cheveux blancs font les mots croisés du Jersey Evening Post dans l'un des nombreux salons de thé d'une bourgade où il ne se passe rien.

Avec sa côte découpée et ses jardins fleuris, la carte postale donne toutefois une impression trompeuse. Au coeur de Saint-Hélier prospère l'un des plus formidables réseaux d'institutions financières de la planète. Cette île de 186 km2 et de 90 000 habitants posée à quelques encablures de Cherbourg compte 47 succursales de banques internationales et plusieurs centaines d'administrateurs de fonds, de cabinets comptables et de bureaux d'avocats.

A la fin 2008, ce confetti de la Manche avait sous gestion 206 milliards de livres (219,4 milliards d'euros) d'actifs financiers. La plupart des avoirs sont placés dans des trusts. Il s'agit d'une structure de préservation du patrimoine propre aux pays anglo-saxons permettant à un détenteur de biens de les confier à perpétuité à un tiers, le trustee, au profit de bénéficiaires.

"On va vous recevoir" : la réceptionniste d'Equity Trust interrompt la rêverie de l'envoyé spécial du Monde impressionné par l'immense planisphère représentant les vingt-quatre bureaux à l'étranger de cette firme ayant pignon sur rue. Débordant de zèle et de jeunesse, Iain Johns, responsable de la clientèle privée, est disert et charmeur.

Pas question pour un quidam de pousser la porte du siège d'Equity Trust à Saint-Hélier et d'y déposer une valise de liquide au guichet. Ce bon vieux temps est bel et bien révolu. Le client est présenté par un intermédiaire de renom, une banque, un conseiller financier ou un bureau comptable. La constitution d'un trust est un travail fastidieux. "Know your customer" (connaissez votre client) : au nom de la transparence, le trustee doit vérifier l'identité du demandeur (passeport, factures) ainsi que la provenance des fonds, preuves à l'appui. Le montant des actifs doit être en phase avec l'activité commerciale ou la fortune déclarée. Les officines de Saint-Hélier sont par exemple abonnées au site de recherche World Check, permettant d'éliminer tout client suspect de vouloir blanchir les fonds liés au terrorisme, à la drogue ou au racket.

Les bénéficiaires et les grandes lignes de la stratégie de fructification du patrimoine figurent dans la lettre d'intention signée par les deux parties. Ensuite, plusieurs compagnies extraterritoriales basées dans un paradis fiscal des Antilles doivent gérer les différentes composantes du portefeuille, immobilier, yacht, toiles de maître, actions, lingots d'or, etc. La création de ces sociétés offshore est nécessaire puisque le trust, entité à la fois légale et virtuelle, ne peut s'adonner à aucune activité commerciale.

Le coût d'établissement d'un trust dépend de sa complexité. Le tarif va de 10 000 à 20 000 livres pour les véhicules simples à plusieurs centaines de milliers de livres pour les montages les plus complexes, auxquels s'ajoutent des frais d'administration et les honoraires facturés à l'heure. Petites fortunes s'abstenir...

Territoire dépendant de la Couronne britannique, Jersey est maître de la levée des impôts. La place extraterritoriale, qui ne connaît ni impôt sur la fortune ni taxe sur les sociétés, est souvent dénoncée comme un paradis fiscal. "Nous sommes tenus de vérifier que le trust respecte la législation du domicile fiscal de notre client et dans toutes les juridictions où les actifs sont placés", souligne Iain Johns. D'ailleurs, dans les îles anglo-normandes, l'évasion fiscale est un délit criminel. Si la confidentialité est garantie, le secret bancaire n'existe pas.

Et si les trusts ne sont pas répertoriés, les trustees sont étroitement contrôlés par le régulateur, la Jersey Financial Services Commission. "Pourquoi faudrait-il soumettre les trusts à une transparence différente de tout autre instrument financier comme les comptes courants ou d'épargne ? L'important, c'est que nous disposions de toute l'information nécessaire sur les personnes concernées", souligne son directeur général, John Harris. Dans cet immeuble vitré semblable à la plupart de ceux du voisinage, une soixantaine de "gendarmes" financiers chevronnés surveillent la régularité des transactions d'un secteur qui représente la moitié du PIB de l'île. Les trusts sont également couverts par les accords d'échanges d'informations fiscales signés entre Jersey et douze pays, dont les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et, depuis le 18 mars, la France.

Au bar du Yacht Hotel, point d'ancrage des seigneurs de l'argent, on parle toutes les langues. Dans un coin, quelques banquiers sont réunis, des bagages à leurs pieds. Il y a des voyages d'affaires dans l'air et le champagne coule à flots.

Marc Roche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire