mardi 24 mars 2009

Suisse : moralisation à petits pas

Suisse : moralisation à petits pas , Le Monde, 24 mars 2009

Officiellement, les autorités helvétiques n'ont fait qu'aménager le secret bancaire. La distinction entre évasion et fraude fiscale pour les étrangers a été supprimée. L'échange élargi d'informations, au cas par cas, basé sur des demandes fondées, a été accepté. Mais depuis l'annonce, vendredi 13 mars, de ces décisions prises sous la pression internationale, c'est l'avenir même de la place financière helvétique (la troisième au monde en matière de gestion de fortune) qui est en question. Et le sort des fonds étrangers qui y sont déposés : jusqu'à 2 150 milliards de francs suisses (1 400 milliards d'euros), soit 42 % de l'ensemble des avoirs, selon les estimations récentes de l'Association suisse des banquiers (ASB).

Pour la plupart des responsables politiques et des banquiers, le soudain désir de moralisation des pratiques financières internationales s'inscrit avant tout dans "une guerre sans merci entre places financières, sur fond de crise économique", comme le résume le parlementaire Christophe Darbellay, président du Parti démocrate chrétien. "Nos principaux concurrents sont Londres et New York, explique-t-il. La meilleure solution serait de créer des trusts comme en Grande-Bretagne ou de se calquer sur les pratiques en vigueur dans certains petits Etats américains, très attractifs fiscalement, comme le Delaware."


"LE BEURRE ET L'ARGENT DU BEURRE"


La plupart des responsables de droite exhortent le gouvernement à passer à l'offensive à l'égard des pays qui pratiquent une fiscalité attractive. Très virulents, les populistes-nationalistes de l'UDC proposent, eux, d'inscrire le secret bancaire dans la Constitution et de soumettre à référendum les conventions de double imposition qui vont être renégociées. Dans les mois à venir, Berne doit en effet réviser ces conventions fiscales avec les pays qui le souhaitent - Etats-Unis, France et Japon ont déjà fait la demande - afin d'y inscrire la suppression de la distinction entre évasion et fraude. Le Parti socialiste et les Verts, qui saluent cette évolution, souhaitent que les contribuables suisses soient soumis aux mêmes règles.

De son côté, le Conseil fédéral (gouvernement) s'est lancé dans un marathon diplomatique, avant le G20. Mercredi 18 mars, Micheline Calmy-Rey, la ministre des affaires étrangères, était à Paris pour répéter que "la Suisse n'est pas un paradis fiscal" et que ses engagements seront suivis d'effets. Elle doit se rendre le 1er avril à Berlin, alors que Peer Steinbrück, le ministre allemand des finances, ne rate pas une occasion de critiquer la Suisse. S'exprimant sur l'effet qu'a eu sur Berne la menace d'être inscrite sur une liste noire de l'OCDE, M. Steinbrück évoquait récemment une "cavalerie" faisant peur aux "Indiens".

A la recherche de contreparties, le gouvernement suisse pourrait demander à Bruxelles de renégocier à la baisse le taux d'impôt à la source prélevé sur les revenus de l'épargne des ressortissants de l'Union européenne. L'idée serait d'éviter que ce taux, actuellement de 20 %, passe en 2011 à 35 % comme le prévoit l'accord bilatéral sur la fiscalité de l'épargne. En 2006, la Suisse a rétrocédé près d'un demi-milliard de francs suisses à différents pays européens. Mme Calmy-Rey a prévenu qu'en obtenant d'importantes concessions sur l'échange d'informations, Bruxelles ne pouvait pas "avoir le beurre et l'argent du beurre".

En attendant, l'incertitude plane sur le sort des fortunes offshore placées en Suisse. "Dans l'immédiat, rien ne changera" pour les clients étrangers, précise un communiqué de l'Association des banquiers privés suisses - l'entrée en vigueur des nouvelles conventions fiscales peut prendre entre un et deux ans. Que se passera-t-il alors ? "Les banquiers devront faire un gros travail d'information pour rassurer leurs clients", estime l'avocat fiscaliste Philippe Kenel. Ceux qui ont des comptes en Suisse ne risquent a priori rien, "pourvu qu'ils soient discrets", précise M. Kenel.

Agathe Duparc

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire