mardi 24 mars 2009

Andorre, gentil paradis fiscal rattrapé par la crise financière

Andorre, gentil paradis fiscal rattrapé par la crise financière , Le Monde, 24 mars 2009

Un dépôt régulier de 30 000 euros par mois et en liquide ?" La proposition enchante Maria S., chargée de clientèle au Banco Privada de Andorra, à Andorre-la- Vieille, capitale de la principauté pyrénéenne dont le président de la République française est le co-prince. L'inconnu que vous étiez il y a une minute encore a été invité dans un bureau anonyme mais confortable ; il s'est vu proposer une tasse de café et un - très - léger questionnaire.

Vous vous inventez alors une profession libérale (prothésiste ou avocat) et un lieu de résidence proche (Toulouse) et Maria vous félicite de placer loin des griffes du fisc français le fruit de votre travail. Maria répond volontiers à vos questions. Non, la banque n'héberge pas les comptes de trafiquants de drogue. "En trente ans de carrière je n'en ai jamais vu, dit-elle. Si vous me parliez de déposer 1 million d'euros par jour, la décision dépendrait du conseil d'administration. Et ils diraient non ! Nous connaissons tous nos clients."

Vos inquiétudes sur la loi qui doit être votée en novembre sur la levée du secret bancaire ? "Contrairement à ce qu'écrivent les journaux, le secret bancaire continuera comme avant." Et si le client demeure sceptique ou craintif, on lui rappelle que des filiales des banques andorranes existent dans des paradis fiscaux purs et durs : Panama, Uruguay...

L'accueil des fraudeurs des fiscs français ou espagnol est excellent dans les banques andorranes. Normal : elles en vivent. Les 20 milliards d'euros de dépôts, affichés par les établissements de la principauté, liquides à 60 %, proviendraient à 80 % de l'évasion fiscale. Il s'agit bien sûr d'une estimation. "Le ratio a un peu diminué ces dernières années, tempère un banquier andorran qui ne souhaite pas être cité. C'est plutôt 70 % à 75 %, car l'économie andorrane s'est développée." Les quatre cinquièmes de ces fraudeurs seraient des Espagnols. Par exemple, le dentiste de Barcelone vient régulièrement déposer son épargne. C'est lui aussi qui fait monter les prix de l'immobiler : un chalet au pied des pistes vaut rarement moins de 1 million d'euros.

Point n'est besoin, pour notre dentiste barcelonais, d'effectuer chaque semaine plusieurs centaines de kilomètres pour se rendre au guichet de sa banque. Le plus simple pour frauder le fisc est de constituer une société civile immobilière (SCI) en Andorre, qui fera l'acquisition d'un appartement en France ou en Espagne. Le dentiste deviendra alors locataire de sa propre SCI et transférera le montant du loyer sur un compte bancaire andorran. Le sien. La SCI peut aussi lui louer des oeuvres d'art, un bateau... Les embarcations battant pavillon andorran ne se comptent plus dans le port de plaisance de Barcelone.

Certains chefs d'entreprise audacieux ont bâti une société écran en Andorre pour qu'elle fournisse prestations et services à l'entreprise réelle qu'ils dirigent en Espagne ou en France. Il faut toutefois que le service soit réel pour justifier le paiement effectué en Andorre. Les services fiscaux se montrent curieux lorsqu'il s'agit d'échanges avec des paradis fiscaux.

Autre variante, cette société andorrane, forcément mal gérée, peut avoir encaissé de confortables avances pour des prestations qui seront jugées défectueuses. Le chef d'entreprise n'aura plus qu'à saisir la justice pour obtenir condamnation de la société écran, laquelle devra restituer les avances perçues, plus des dommages et intérêts. La beauté de la chose tient au fait que la justice ordonne et valide le retour en France - ou en Espagne - de capitaux sortis illégalement et désormais blanchis.

Andorre n'est toutefois pas Panama ni même Monaco. "Nous n'autorisons pas les trusts, les hedge funds et autres fiducies, expliquent les responsables politiques andorrans. Nous sommes des gentils." Les barons de la drogue blanchiraient leurs capitaux ailleurs que dans les Pyrénées. Mais, comme le fait remarquer un Français expatrié en Andorre : "Des commerçants andorrans dont le stock ne tourne pas mais qui déposent quand même 15 000 euros par jour à la banque, j'en connais."

"On est en chemin pour arrêter de jouer au c...", dit un officiel qui ne souhaite pas être cité. C'est-à-dire de ruser avec les contraintes. Un exemple : en principe, nul ne peut devenir andorran s'il ne réside au moins la moitié de l'année sur place. Mais bien des Andorrans sont payés pour faire fonctionner le chauffage et l'électricité de logements vides toute l'année. Les factures servent de preuve de résidence.

Dès la victoire, en mai 2005, du Parti libéral d'Andorre, Albert Pintat, nommé chef du gouvernement, et son ministre des finances, Ferran Mirapeix, ont souhaité cesser de ruser. Sur la base de deux études commandées au cabinet de conseil McKinsey et à Michel Camdessus, ex-directeur général du FMI, ils ont travaillé à inventer un futur "normalisé" pour Andorre. Car les conclusions des deux rapports étaient sans appel : le resserrement progressif de la surveillance internationale sur les places offshore et la meilleure coordination des Etats dans la lutte contre le blanchiment des capitaux obligeraient les paradis fiscaux à évoluer.

"Un petit pays comme le nôtre n'a pas les moyens d'être une exception. Il ne peut pas continuer dans l'opacité", confirme M. Pintat. Sous-entendu : nous n'avons pas d'armée qui nous permette de soutenir ce statut d'exception. Mais comment faire passer le message quand 98 % de la population s'enrichit du tourisme, du secret bancaire et d'une fiscalité inexistante ? La réponse est simple : le message ne passe pas ! "Vous n'imaginez pas les résistances que nous avons rencontrées, y compris au sein de notre propre parti", dit Ferran Mirapeix, ministre des finances. "Au plan politique, Albert Pintat et moi-même sommes carbonisés", assure-t-il. M. Pintat a choisi de ne pas se représenter et M. Mirapeix est "grillé" au sein du Parti libéral d'Andorre. Tous deux affichent toutefois une immense satisfaction : avoir accéléré la mutation du pays. "Le point de non-retour est désormais dépassé", affirme M. Mirapeix.

En quatre ans, le cadre législatif andorran a changé en profondeur. La loi sur les investissements étrangers permettra aux capitaux venus d'ailleurs de se passer d'un partenaire andorran à vocation majoritaire. L'industrie du "prête-nom", qui s'est développée ces dernières années - un investisseur étranger doit rémunérer un Andorran qui accepte en façade d'être majoritaire de l'entreprise commune - mourra de sa belle mort.

En novembre, une nouvelle loi lèvera également le secret bancaire et des conventions de double imposition devraient être signées avec les grands pays. La France devrait alors renoncer à la retenue à la source de 33 % qui empêche l'industrie des services andorrans de se développer.

La loi qui oblige les entreprises andorranes à développer une comptabilité est également votée et sera progressivement mise en application. "Les citoyens n'en voulaient pas", dit M. Mirapeix. Exonérés de tout impôt direct, les commerçants avaient envie de continuer à confondre leur compte bancaire personnel et celui de leur entreprise. La loi sur les plus-values immobilières a été votée pour casser la spéculation... La sortie progressive d'Andorre du statut de paradis fiscal était programmée. "Nous avions encore besoin de quelques années pour que le message passe dans la population", reconnaît un banquier. Mais la crise financière et la tentation des grands pays de pointer du doigt les paradis fiscaux obligent Andorre à forcer le pas. C'est peu dire que la population n'y est pas préparée.

Yves Mamou

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