mardi 24 mars 2009

Haro sur les paradis fiscaux

Haro sur les paradis fiscaux , Le Monde, 24 mars 2009

Nul ne ferait grief à Barack Obama d'ignorer où se trouve Andorre. Ni à Hu Jintao de confondre Jersey et Guernesey. Ni même à Nicolas Sarkozy de ne pas situer Nauru dans l'Océanie. Pourtant, malgré leur taille lilliputienne, ces entités vont occuper pendant quelques heures les discussions des grands de ce monde, lors du sommet du G20 qui se tient à Londres le 2 avril. Il est même possible que, faute de s'entendre sur l'essentiel - la relance coordonnée de l'économie mondiale et l'architecture du système financier de demain -, les dirigeants les plus puissants de la planète se mettent assez vite d'accord pour réguler ces places financières qui prospèrent aux marges du système.

Ces paradis fiscaux, comme on les appelle faute de mieux, ont longtemps fait de secret vertu. Signe de leur opacité : ils ne répondent à aucune définition officielle. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se contente d'en donner trois caractéristiques : une taxation sur le capital nulle ou insignifiante, l'absence de transparence et de fortes réticences à communiquer la moindre information à une autorité étrangère. Des caractéristiques suffisamment floues pour englober les coffres-forts suisses et les boîtes aux lettres des îles Caïmans.

Etablir la liste précise des paradis fiscaux relève donc de la gageure. Selon l'OCDE, qui ne devrait communiquer sa liste qu'au G20, environ 45 pays y figurent. Ils sont près du double, affirment les ONG. Quel est leur poids financier ? Environ 1 700 milliards de dollars, a avancé le FMI en 2000. Sept fois plus (11 500 milliards), si l'on en croit les conclusions publiées par le Réseau mondial pour la justice fiscale en 2005. De telles sommes n'auraient pu trouver le chemin des paradis fiscaux sans l'accord - la complicité disent les ONG et les syndicats - des grandes places financières. Au nom de la concurrence entre les entreprises, de la libre circulation des capitaux, et de la nécessité de diminuer partout le rôle des Etats, et donc le poids de l'impôt, les paradis fiscaux ont longtemps été tolérés voire encouragés. La seule présence de ces chevau-légers dans la compétition mondiale contraignait les Etats à se réformer. Chaque grand pays a d'ailleurs les siens. Parmi les plus connus, les Bermudes, Antigua voire l'Etat du Delaware pour les Etats-Unis, Andorre et Monaco pour la France, les îles Anglo-Normandes voire la City pour la Grande-Bretagne, la Suisse, le Liechtenstein et le Luxembourg pour l'Allemagne. De même, toutes les grandes entreprises y auraient recours. Selon le mensuel Alternatives économiques de mars, les entreprises du CAC 40 détiendraient 1 470 filiales dans ces paradis fiscaux. Si BNP Paribas arrive en tête (189 filiales recensées), la banque est suivie par LVMH (140) et Schneider (131 dont 43 dans la seule City britannique où créer une société ne coûte que 250 euros).

Mais le phénomène atteint des proportions telles - le manque à gagner fiscal pour les Etats-Unis s'élève à 100 milliards de dollars - qu'il est devenu difficilement tolérable. Surtout, par leur opacité, les paradis fiscaux, qui ont contribué aux turpitudes de la finance, nuisent aujourd'hui à sa régulation. D'où le changement de ton des puissances tutélaires. En ce sens, leur réforme (ou non) sera un excellent baromètre de celle du capitalisme.

Frédéric Lemaître

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire