mardi 24 mars 2009

"Londres ou New York sont aussi des paradis fiscaux"

John Christensen, directeur du Tax Justice Network (Réseau mondial pour la justice fiscale) , Le Monde, 24 mars 2009

John Christensen est le directeur du Tax Justice Network (Réseau mondial pour la justice fiscale), une organisation regroupant des associations qui luttent contre les effets négatifs de la finance offshore.

Quelles sont les différences entre paradis fiscaux et centres offshore ?

Un paradis fiscal est une juridiction offrant un cadre politique, fiscal, légal. Un centre financier offshore est un réseau de banques, cabinets d'audit et d'avocats, immatriculés dans un paradis fiscal. Le premier est un vaste centre commercial, le second est constitué des magasins, restaurants, cinémas qui louent l'espace. A l'exception d'endroits minuscules comme Sark, Montserrat ou Niué, dans le Pacifique sud, les paradis fiscaux sont tous des centres financiers. C'est une erreur de considérer les places offshore comme des îles sous les cocotiers ou des lieux de villégiature alpins. Des places financières comme Londres, New York, Singapour sont aussi des paradis fiscaux.

Quel est leur poids ?

Avec des actifs de particuliers sous gestion de l'ordre de 11 500 milliards de dollars, les 72 places offshore répertoriées sont au coeur du capitalisme financier. Ce n'est pas un phénomène marginal. Cette estimation datant de 2005 est aujourd'hui largement dépassée.

Depuis quand ces places extra-territoriales existent-elles ?

Le centre du Delaware (l'Etat américain) a été créé au XIXe siècle pour offrir des exemptions fiscales aux entreprises américaines. Les centres européens sont apparus dans les années 1920 pour permettre aux multinationales de payer le minimum d'impôts. L'essor des îles Anglo-Normandes a été lié aux hauts taux de taxation au Royaume-Uni dans les années 1970. La déréglementation des marchés à partir des années 1980 a été le tremplin d'une expansion effrénée des places offshore dont le nombre a plus que triplé en quarante ans. Encouragés par les grandes banques internationales, ces paradis fiscaux sortent de terre comme des champignons. Ainsi la banque Barclays pousse actuellement le gouvernement ghanéen à créer un centre financier à Accra. C'est un vrai cancer qui frappe la finance internationale.

Ces centres offshore jouent-ils un rôle dans la crise actuelle ?

Indéniablement. Les marchés fonctionnent avec efficacité et dans l'intérêt de tous quand ils sont vraiment transparents. Or, via des structures complexes, les special purpose vehicules, les centres offshore permettent aux entreprises d'alléger au maximum les taxes sur les bénéfices. Ces relais servent également à faire sortir du bilan les pertes pour les dissimuler du régulateur comme des auditeurs, des agences de notation comme des actionnaires. Enfin, ces centres facilitent la fuite des capitaux et l'évasion fiscale à grande échelle des pays en voie de développement vers les pays développés. Des moyens financiers considérables qui pourraient être investis dans des programmes sociaux, éducatifs ou écologiques sont ainsi détournés. Ces centres sont totalement imbriqués dans la finance officielle. On ne peut pas dissocier Jersey de la City de Londres, les îles Caïman de New York, le Luxembourg du continent européen. C'est "cousin cousine".

Que faudrait-il faire ?

Les centres offshore n'ont aucune utilité publique. Dans un monde idéal, ils ne devraient simplement pas exister. Toute tentative de réglementer le capitalisme sans tenir compte de leur capacité de nuisance est promise à l'échec. Au lieu de se féliciter des récentes concessions de Jersey ou de la Suisse, il faut réformer le système dans son ensemble, imposer une transparence totale qui tuerait ce cancer.

Qu'attendez-vous du G20 de Londres ?

On parle de combattre ce fléau depuis la nuit des temps, mais la Ligue des nations, les accords de Bretton Woods (signés en 1944), l'OCDE et l'ONU ont échoué faute d'une volonté politique. Il y a une bonne dose d'hypocrisie dans ce domaine. Leur existence arrange de nombreux pays, quoi qu'ils en disent. Gordon Brown n'est pas prêt à sacrifier Jersey, le satellite de la City. Il est peu probable que la déclaration - minimaliste - du G20 sur cette question soit suivie d'effet.

Propos recueillis par Marc Roche

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